Portraits et aphorismes Bernard Frank Cherche Midi

Prix éditeur 13.42 euros

Pourquoi faire compliqu�, la population se scinde en deux : ceux qui connaissent Bernard Frank et ceux qui ne le connaissent pas. La mission accept�e de ce livre est d'�tablir une sorte de passerelle, v�ritable main tendue vers une population en voie de disparition. Les idol�tres de Frank ne vont pas appr�cier, les innocents se calmer et si tout cela pouvait nous cr�er un peu d'apaisement, un retour � la justesse des choses, ah... C'est une nouvelle mode aussi, distiller en substance. On ne vous fourgue plus l'int�grale des int�grales qui plomberait plus d'un motiv� mais plut�t des pens�es, des aphorismes, des attouchements quoi. Et se faire peloter par une phrase de Frank, c'est l'adult�re assur�. Portrait et aphorismes n'est donc pas une g�terie pour gens press�s, ou amateurs de ruelles.

Bernard Frank a pratiquement tout �crit entre 22 et 26 ans. Oeuvre � laquelle nous ajoutons des livres �crits � la paresseuse Le si�cle d�bord� (1970) et Solde (1980). La premi�re brique du mythe proc�de justement de ce dess�chement subit, d'une gloire trop s�re pour durer. Au d�but des ann�es 50, Sartre le re�oit en le jugeant plus intelligent que lui, et il refuse les offres gallimardesques. Un livre culte, Les rats, un essai sur Drieu la Rochelle, La panoplie litt�raire, un bijou, L'illusion Comique, et l'on s'�gosille � crier au g�nie. Seulement le g�nie s'est enfoui dans l'alcool et le jeu. Et puis, le g�nie n'avait pas besoin de gloire. Celle de Sagan suffisait pour deux, dixit Frank.

Une des particularit�s charmantes de Frank est d'avoir sign� des contrats chez presque tous les �diteurs de France. Contrats qu'il n'honore jamais, forc�ment. Les projets s'endorment avec l'encaissement des ch�ques. v�ritable voleur d'�-valoir, en petit pervers, il ne cesse de ressasser dans ses chroniques tous les livres qu'il doit � Flammarion, Grasset, Laffont, et cette Lettre ouverte aux gens qui m'ennuient qu'il a promise � Francis Esm�nard, PDG d'Albin Michel, avant de soupirer qu'au bout du compte personne ne l'ennuie vraiment � part lui-m�me. Tout �a pour dire que Portraits et aphorismes est tout sauf un travail de grand �crivain se penchant sur ses grandes phrases. Il n'est pour rien dans ce livre, un peu comme tout ce qui lui arrive ? Ca doit m�me le faire ricaner que l'on ait d�coup� son oeuvre en phrases et th�mes. Ca fait coh�rent, et c'est du luxe pour un �crivain que personne n'a compris (et surtout pas les �diteurs qui continuent � le payer gentiment pour du rien en projet). Et c'est vrai qu'au travers de ce livre que l'on doit � l'amie-de-toujours St�phanie Leclair se d�gage avec force une oeuvre, une pens�e, comme on aime dire. Les femmes, les juifs, l'alcool, la politique, personne n'a eu autant de bons mots. Une phrase au hasard : "Les ennuis sont le meilleur antidote � l'ennui". Le ton y est toujours pr�cis, l'ironie bougonn�e. C'est presque un guide de survie � Mauriac.

Donc joie pour les d�couvreurs et, pour ceux qui adorent, juste de quoi se rappeler le pourquoi de leur engouement ; c'est souvent le probl�me des enthousiasmes, on ne sait plus pourquoi.

David Foenkinos