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Les po�tes du Grand Jeu
| | Les po�tes du Grand Jeu Zéno Bianu Gallimard
| Prix éditeur 8.00 euros
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Ils n�ont qu�un mot � dire : � oui et non �. Pour atteindre la R�alit� absolue, il leur fallait d�truire. Non cr�er du n�ant. D�truire. D�passer. D�-passer par la po�sie la diversit� contradictoire du monde abject et sensible pour �prouver, pour retrouver, pour re-prouver l�unit� d�un ordre universel, d�une premi�re �vidence, Absolue, Irr�ductible, Essentielle. Comme dans le jeu du Kim de Kipling, l�homme, les yeux grand ferm�s, en lui �prouvait, retrouvait, re-prouvait l��vidence des objets vus avant l�acte supr�me et irr�ductible, le grand jeu auquel il se donna : fermer les yeux. Le po�te, lui, ouvre les yeux sur le d�sespoir pour guider ses contemporains vers la r�v�lation, pour que le d�sespoir leur ouvre les yeux. Conscient de l�omnipotente vanit� d�un monde contradictoire, IL LUI FAUT DONC AFFLIGER SES PROCHAINS. Qu�ils jettent leur humanit� dans le vaste tombeau de la nature et que, laissant celle-ci � ses lois propres, ils embrassent l�inh�rente connaissance qui sourd de la � m�taphysique exp�rimentale �.
� Primitif, sauvage, antique, r�aliste �
Certains romantiques comme Nerval ou Kleist aspiraient � un autre monde ; Rimbaud introduisit dans ces exaltations une m�thode pour atteindre la r�alit� d�une vie autre ; pour Ren� Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vailland et Joseph Sima, unique �tait la tentative. Le Grand Jeu ne se tente qu�une seule fois, � le Grand Jeu ne cherche que l�essentiel � (� La Circulaire du Grand Jeu �). Dans � L�horrible r�v�lation� la seule �, Roger Gilbert-Lecomte demande ainsi � ses amis, debout face � la r�alit� foisonnante et absurde : � vous souvient-il qu�avant tout aspirait vers l�unit� une ? �. En 1928, dans le but de retrouver le lien direct avec l�Esprit total que chacun avait au d�but de sa vie, un groupe de jeunes gens abat leur Revue du Grand Jeu, cruciale et imp�rative. Le premier des quatre num�ros (la dernier, abandonn�, n�aura aucun lecteur adoptif) na�t en septembre sur la Terre ; les auteurs et le Verbe se port(ai)ent bien.
Le Grand Jeu face � toi
�coute et lis. La parcelle d��tre qui est d�volue � nos consciences, au commencement du monde, n��tant pas irr�m�diablement s�par�e de l�Esprit universel, il te faut alors quitter toute � mentalit� logique et rationnelle �, te fondre dans la � mentalit� pr�logique et mystique �.Te tourner vers cet Esprit premier suppose l�abolition de toute individualit�. Le groupe du Grand Jeu appelle Dieu cet �tat limite de toute conscience, �tat de l��me qui s�appr�hende sans le secours d�une individualit�. Si tu veux entrer en toi et en l�Esprit premier, d�tourne-toi de � je suis Moi �.
Le Grand Jeu explora aussi loin que possible � les proc�d�s de d�personnalisation, de transposition de la conscience � pour atteindre la R�alit�. �coute et lis les moyens �nonc�s par ceux qui ont exp�riment� la m�taphysique.
D�abord il te faut rire de ce que tu vois, de ce que tu es, de cette r�alit� que tu crois �tre r�elle : � Dieu merci, comme dit l�autre ; on peut toujours se lib�rer soi-m�me � (� Politique �, Gilbert Ribemont-Dessaignes).
Ensuite, selon Gilbert-Lecomte (� L�horrible r�v�lation� la seule �), le sommeil, retour rythmique au pays pr�-natal, te permettra de rentrer en contact avec l��tre universel : et sache que tout ce que tu vis alors, que tout ce que tu as r�v� une fois existe � l��gal des faits du pseudo-r�el. Si Moi-qui-dors tombe, Moi-qui-veille l�aide par � souvenir de solidarit� � mais celui-ci souffrira assur�ment de courbatures et de maux de t�te toute la sainte journ�e.
Puis ressens ce que Daumal exp�rimenta (� L�asphyxie et l�exp�rience de l�absurde �): � les formes logiques de la pens�e sont confondues, chez la plupart des civilis�s de notre si�cle, avec l�acte m�me de penser �. Mais, civilis�, sache que maintes m�thodes de pens�e lib�rent la � logique intuitive � : l�asphyxie, la narcose, l�anesth�sie avec une drogue quelconque� Comme lui, respire du t�trachlorure de carbone, de l��ther ou du protoxyde d�azote, et tu Sauras. Ou, m�me, Innocent, avance-toi que je te pr�sente H�ro�ne. H�ro�ne, mon h�ro�ne. N��coute pas les impies qui �voquent l� � Enfer des drogu�s (sic et resic et resic) �, ces malades du colon c�r�bral qui �pandent dans leurs papiers-Q(uotidiens) � leur diarrh�e journalistique documentaro-moralisatrice �. Quand l��tre atteint � une souffrance plus qu�humaine, � la spirale immobile qui broya le po�te, il se perd en tant qu�homme et recouvre son entit� premi�re. � toi de mener un travail volontaire de l�esprit pour ma�triser ces conditions de conscience.
Enfin, enfant rimbaldien, deviens � ton tour voyant et ouvre-toi � l�univers des Images, des symboles derniers de la r�alit� : � un po�te ne peut croire qu�en la � po�sie � qui est un nom du Monde du Myst�re � (� L�horrible r�v�lation� la seule �, Roger Gilbert-Lecomte).
PO�sie EMinemment ESsentielle
Le Grand Jeu recherche le vrai mot, ici et maintenant. Se tend tout entier vers un langage qui remanie la parole vivante pour mettre � jour le secret d�une v�rit� enti�re : entrer en accord avec l�ordre universel de l�Esprit premier. Proches des surr�alistes, Daumal et ses camarades s��loignent de ceux-ci qui restreignent leur maniement du langage � des jeux d��criture maintenus dans les errances anciennes. De ceux-ci qui �crivaient pour une r�volution politique quand ceux-l� se laissaient �crire V�rit�. Bannies les rimes, absentes les c�sures, les m�taphores fil�es, les figures styl�es, la grammaire servent de viatiques pour tenter d�exprimer la r�alit� d�une autre dimension. La langue se fait signes, signaux de l�Au-del�. Mani�e mais non maltrait�e dans � L�Histoire de France � l��cole du soir � quand Gilbert-Lecomte la donne � lire en phon�tique : (et maintenant lis � voix haute) � Notre rabot paix y sape aile l�affre anse �. Objet d�une attention inqui�te dans � Quelques po�tes du XXV�me si�cle �, texte g�nial et visionnaire o� NostraDaumal imagine une France aux pr�s peupl�s de � n�o-vaches � toutes en pis et pr�dit l��volution du fran�ais vers un chinois monosyllabique, g�n�tiquement vici� par la faute d�un XIX�me si�cle (et rajoute le XX�me et, � coup s�r, le XXI�me si�cle) qui n�a pas su d�finir la vraie po�sie.
Maintenant entre en harmonie avec la langue en mouvement car � qui s�ennuit se nuit ; mais qui se laisse ennuyer sort de la nuit � (Daumal, � Qui s��trangle �).
Ferme les yeux et fixe la bougie devant toi. Crie les textes des lyc�ens de Reims et tu verras se dessiner, nyctalope initi�, la spirale de Sima.
Grand Joueur, prends ton inspiration. Ce fut pour faire leur d�sespoir. Ce sera pour faire ton d�sespoir. � Aucune aspiration, mais des expirations �.
Par Charles Patin O�Coohoon et Olivier Stroh
A noter : anthologie pr�sent�e par Z�no Bianu
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