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Les impunis
| | Les impunis Thomas Firmiani Fayard
| Prix éditeur 18.00 euros
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Un pays sans nom, o� l�ennemi est n�cessairement Turc, le rite forc�ment orthodoxe, et l�empire fatalement en d�clin. Une �poque tout aussi ind�termin�e, qui pourrait ressembler au d�but du vingti�me si�cle. Pour l�ambiance, un m�lange d�l�t�re : utopie marxiste et police secr�te. Nous n�en saurons pas plus, et peu importe d�ailleurs : une fois son d�cor d�op�rette Mittel Europa plant�, Thomas Firmiani n�y d�roule qu�une intrigue quasi-symbolique, peupl�e de personnages caricaturaux et ponctu�e d�improbables rebondissements : un meurtre politique, une enqu�te aux allures de Cluedo Bi�lorusse, un commissaire opini�tre, de fourbes politiciens, un majordome ma�tre-chanteur, un diplomate cynique hant� par un impossible amour� Le tout appara�t, � premi�re vue, comme le fruit obsc�ne d�une orgie qui aurait r�uni Agatha Christie, Barbara Cartland, Dosto�evski et Julien Gracq.
Voire. Car au fil des pages, quelque chose se produit. Tout d�abord, la langue �tonne, irrite, puis s�duit. Thomas Firmiani �crit un fran�ais que l�on croyait disparu depuis les fr�res Goncourt. Un fran�ais convenu et raisonnable, volontairement d�suet, d�une �l�gance obsol�te, mais qui se d�nude au fil des pages jusqu�� l��pure, au point de devenir l�illustration quasi-parfaite du concept m�me d��criture bourgeoise. Sangl� dans cette camisole litt�raire, Firmiani instaure une distance troublante entre la forme et le fond de son r�cit. Il s�absente et d�construit de l�int�rieur ce roman aux allures si sages, comme l�organisme engendre les cellules canc�reuses qui vont le r�duire en cendres. Le clich� sans panache fait insensiblement place � la caricature grima�ante, et le d�paysement de pacotille devient un espace mental asphyxiant et d�sincarn�. Ce travail de sape syst�matique n��pargne pas les protagonistes, qui deviennent autant d�arch�types s�agitant au gr� de vaines p�rip�ties, souffrant de leur propre manque de substance, abandonn�s par leur cr�ateur qui ne consent � leur redonner vie que par saccades, le temps de fulgurances pleines d�amertume qui n�auraient probablement pas laiss� Cioran indiff�rent.
D�s lors, le roman n�est plus que le pr�texte qu�utilise Firmiani pour d�voiler, � l�instar de ses personnages, ses propres interrogations : la fiction romanesque est-elle encore un vecteur vivant, ou plut�t un fantasme vaguement n�crophile ? Est-il encore possible d��chapper aux figures impos�es, ou tout a-t-il d�j� �t� �crit ? On pense, paradoxalement, � une �uvre comme Ne pas toucher d�Eric Laurrent, paru l�an dernier aux �ditions de Minuit. Tout comme Firmiani racle jusqu�� l�os un certain type de litt�rature romantico-polici�re avec les impunis, il y dynamitait les codes du triangle amoureux femme/mari/meilleur ami, m�me si la volont� d�atteindre les limites extr�mes d�un genre est finalement leur seul point commun. L� o� Laurrent se livrait � un exercice de style jouissif et optimiste, Firmiani signe plut�t un constat d��chec et semble ne pouvoir rien faire d�autre qu�avouer son impuissance � f�conder le r�cit. La vague intrigue progresse m�caniquement, sans �tat d��me. Le d�nouement pourrait n��tre que pr�visible, s�il ne laissait cette impression gla�ante d��l�gant d�sespoir. Mais il faut sauver les apparences � tout prix, et Firmiani s�y emploie. Il s�amuse m�me parfois, et truffe le roman de patronymes absurdes � l�exotisme racoleur, en guise d�ultime pirouette. Pas plus que les autres, cette ficelle-l� ne suffit � cacher que sa foi vacille. Est-ce pour cela que Thomas Firmiani n�est qu�un pseudonyme et que son �diteur veille scrupuleusement � ne laisser filtrer aucun �l�ment biographique � son sujet ? Pas facile en effet d�avouer, quand on est aussi dou�, que la litt�rature ne vous fait plus bander.
J�r�me Farssac
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