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Dernier roman : Dustan trop Dustan
| | Dernier Roman Guillaume Dustan Flammarion
| Prix éditeur 15.00 euros
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Guillaume Dustan publie son Dernier Roman. Apr�s les flammes de la pol�mique, il ajoute quelques phrases � son oeuvre, histoire de finir ce qu'il avait commenc�. Ce n'est pas son meilleur livre, mais le bouquin qui devait arriver.
Il faut refaire l'histoire. D'abord, pour pr�senter p�dagogiquement Guillaume Dustan, il faut dire ce qu'il a �t� : ex-laur�at du Prix de Flore (pour le roman Nicolas Pages, en 99), ex-amant de Nicolas Pages (noble esth�te suisse - dernier ouvrage paru : Septembre, chez Flammarion), ex-chef de file du mouvement queer, ex-�diteur chez Balland, ex-�narque, ex-drogu�, ex-barebackeur, ex-perruqu�. Ensuite, pour ce qu'il reste, c'est un homosexuel, un sida�que, un pr�tendu vid�aste (aux films introuvables) ainsi qu'un �crivain. Aujourd'hui, il publie Dernier roman (Flammarion), essai-journal couvrant sa p�riode � Douai, o� l'ex-figure parisienne s'est retir�e pour officier en tant que magistrat. � Parfois pour survivre il faut savoir renoncer � une certaine �l�gance. Comme partir en province pass� trente-cinq ans. � Apr�s la fermeture de sa collection ("Le Rayon", chez Balland) dans laquelle il publiait, entre autres, ses textes (le dernier, Lxir, remonte � 2002), il int�gre l'�curie Flammarion de Fr�d�ric Beigbeder, son nouvel �diteur attachant, plein d'esprit mais sans talent. Il sera la caution litt�raire d'une bande disparate - difficile de lui trouver un point commun avec G�raldine Maillet ou B�n�dicte Martin. Peu importe : l'important, c'est que William Baran�s, alias Guillaume Dustan, ne soit pas mort.
Avec Dans ma chambre, Je sors ce soir et Plus fort que moi, parus entre 96 et 98 chez P.O.L., la premi�re p�riode donne dans l'autofiction intimiste. � A un moment il y eut trop de jalousie trop d'envie il m'arrivait trop de choses, comme un destin, mon destin se constituait et l� plein de gens ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour me planter. � Fort des inimiti�s suscit�es, ses bouquins suivants (Nicolas Pages, G�nie Divin et Lxir) s'ouvrent explicitement � la cause politique au moyen d'un style arrach� (�clatement de la phrase, destruction typographique, d�composition des mots). Une part de ses lecteurs prennent des moufles et tournent la page - comme s'il n'�tait d�j� plus ce qu'il �tait. Dustan, pourtant, n'a pas chang� : la (nouvelle poly-) forme correspond toujours au (nouveau poly-) fond. Bref, tout fout le camp, puis il publie son Dernier Roman.
Terroris�s par ce titre, les gens reviennent. Pour ceux-l�, une question se pose. Oui : dernier livre ou non, Dustan va mourir, et Josyane Savigneau (responsable du suppl�ment livres du � Monde �) a l'air de se rendre compte un peu tard : elle participe comme si de rien n'�tait � l'encensement de son nouveau livre. Quoi de plus facile que de faire bonne figure devant la mort ? Une attitude qui en rappelle une autre : il y a deux ans, on encensait l'ouvrage posthume d'Herv� Guibert, Le Mausol�e des Amants (Gallimard) alors que l'oeuvre de Guibert, jusqu'alors, ne faisait pas la une des journaux. La critique s'est emball�e et l'on d�pe�a le cadavre (� l'�poque, notons toutefois l'attitude respectueuse de ses plus sinc�res lecteurs - Mathieu Lindon, Christophe Donner ou Christine Angot). Pour Dustan, le proc�d� se r�p�te - et l'auteur si pr�s du cercueil, ce serait vraiment b�te que la critique attende dix ans pour se racheter. Preuve de cette hypocrisie : avec son Dernier Roman, Guillaume Dustan ne livre pas le plus abouti de ses opus.
Douai, donc. � Le jour, on fait semblant que la vie normale continue. La nuit, il n'y a plus rien, que le bruit des skates, et parfois, tr�s lentement, des voitures de police. La ville est vide, volets ferm�s. Pass� trente ans si tu marches � pieds c'est suspect � Douai. Les riches, les gens int�gr�s ne vont qu'en voiture. Je me fais livrer par le prolo de Champion, je ne veux pas qu'il monte chez moi, je le surveille pour ne pas qu'il me vole, chez moi tout est collector et j'ai tellement morfl� que je ne supporterais pas un coup de plus. � Plus assez jeune pour Paris, Dustan va l� o� les auteurs contemporains, Dantec ou Houellebecq, se pr�cipitent : en terre d'exil. Apr�s quelques pages d'analyse politique (o� il d�veloppe le concept d'� Etat-Matrix �), suivent quelques tranches de province, ennemie de la traditionnelle Boh�me. Des lignes d'excellence. � Je ne suis jamais all� au march� des Blancs �a me d�go�te trop je suis d�sol�. C'est parce que je sais trop de choses. � Parmi les � d�vots � (� des veaux �, dit-il), l'�litisme du prince Warholien tranche : � Les r�alistes essayent de tuer les visionnaires, les visionnaires cr�ent l'avenir. � Parmi les tueurs, on pourrait citer Pierre Jourde et Eric Naulleau qui s'en prennent � lui, mais bon, leur tout nouveau bouquin est un petit truc naze, donc pas m�chant (Le Jourde & Naulleau, Pr�cis de litt�rature du XXI�me si�cle, �d. Mots et Cie).
Au-dessus des balles, Dustan pose, beau et seul. Sans rien � prouver. Il juge ses pairs, ses anc�tres, ses ennemis. Il liste, et insulte, parfois. Ou bien il aime : �Nicolas Pages c'est une star d�truite comme moi par la presse les gens m�diocres et tout �a, et puis il est trop na�f pour �tre arriviste comme il voudrait et trop vrai pour arriver comme tous les gens faux qui gouvernent le monde, ou qui croient le gouverner car les oiseaux les emmerdent.� Il porte encore un int�r�t total � son temps - et lit sa �famille�. Tandis que les aphorismes se succ�dent (�On peut diviser les animaux en personnes d'esprit et en personnes � talent. Le chien, l'�l�phant, par exemple, sont des gens d'esprit. Le rossignol, le ver � soie, des gens � talent.�), le roman s'�inach�ve�. Solitaire Nietzsch�en, press� d'�tre intensif (d'aller � l'essentiel), il finit par petits coups le discours qu'il �crit depuis huit ans. Des br�ves � rattacher au reste de sa vie dont on oublie souvent l'essentiel : la mise en perspective critique, de La Rochefoucauld � Nan Goldin, de ces artistes qui ont eu le � courage de dire la v�rit� quand elle pouvait encore nous d�truire nous-m�mes. � Le g�n�rique est dans son oeuvre, et � la fin, normalement, il n'aura personne � remercier.
Ariel Kenig
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