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Pura vida
| | Pura vida Patrick Deville Seuil
| Prix éditeur 19.00 euros
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A toutes choses �gales, la passion s'�teint... En ces temps o� Walker est synonyme de prognathie intellectuelle, on e�t pu se r�jouir de lire la biographie d'un Walker �m�rite, texan pour parfaire la comparaison, et aventurier au grand pas de son �tat. C'est en fait l'histoire d'un continent qui nous sera cont�e, ou plut�t d'un sous-continent, comme il existe des sous-fifres : l'Am�rique centrale. Patrick Deville d�crit dans Pura vida l'am�rique de l'entre-deux, cet ombilic aux luttes intestines. L'Afrique a ses r�publiques banani�res, celle de central America sont caf�i�res. Les dictateurs du cru ont l'uniforme et le teint oliv�tres, les lunettes fum�es et la m�daille abondante : bienvenue aux pays des r�volutions po�tiques et des insurrections paysannes la faux � la main ou la faucille en t�te, au choix.
L'enqu�te abym�e
Managua, Tegucigalpa, Salvador et autres minuscules capitales : P. Deville les raconte avec le regard pr�cis et blas� d'un realpoliticien . Des taxis crasseux, des sentes douteuses, les paupi�res lourdes de mauvais rhum cach�es derri�re un exemplaire d'El nuevo diario. A la recherche d'un t�moin de ce qui ne peut encore �tre appel� Histoire : putschs anecdotiques, guerres pichrocolines... T�moins fig�s de ces non-�v�nements, les statues �questres : � si le cheval est cabr�, les ant�rieurs bien d�coll�s du sol, c'est que le h�ros est mort au combat. Une seule jambe lev� et il est mort de ses blessures. Les quatre sabots au sol et le h�ros est mort dans son lit, loin de la fureur apais�e des batailles �. Ces monuments cristallisent l'ironie de Patrick Deville. A chaque village, sa place, � chaque place son h�ros. Tous suscit�rent l'espoir, tous le d��urent et finirent plus anonymes que leur montures. � l'h�ro�sme est une forme d'art �. Effectivement, c'est une statue �questre... Terrible d�sillusion pour celui qui pense que les h�ros survolent les g�n�rations le torse bomb�, en incarnations plus qu'humaines de toutes nos aspirations.
La queue du Quetzacoatl
Les mayas avaient dans leur calendrier, outre les mois et ann�es, une unit� suppl�mentaire -Ximhmolpilli- d'une dur�e de 52 ans. Soit le temps de deux g�n�rations, le temps de la m�moire des hommes dont les souvenirs peu r�manents s'estompent au del�. Le r�gne des mayas a dur� quatre si�cles -ou huit Ximhmolpilli-, puis les conquistadores vinrent, diss�minant les fi�vres et la politique. Alors tout s'acc�l�ra, les pyramides des anciennes civilisations vacill�rent. Quetzacoatl -le dieu serpent- se mordit la queue et la boucle fut boucl�e. Un premier cycle put commencer, la folie import�e au nouveau monde identique � celle de l'Ancien. Dans Pura vida, ces cycles sont des r�volucions. Depuis Hernan Cortez jusqu'au Che Guevara, en passant par William Walker, les histoires se r�p�tent en une ronde inconsciente. Autant d'hommes trop imbus ou trop aveugles de leur propre vanit�, b�tisseurs d'empires vermoulus, de r�publiques vacillantes. � Francisco Morazan (...) fut celui qui d�tient avec Simon Bolivar ce record d'avoir �t� en moins de 12 ans, le pr�sident de la r�publique de quatre �tats diff�rents (...) William Walker ne le fut lui que dans deux �tats diff�rents. � Sonora, El Salvador, Nicaragua : autant d'�tats aux fronti�res floues tant elles sont mouvantes � nos yeux que la narration de Deville a rendu s�culaires. L'histoire des hommes : une cyclothymie encore aggrav�e par l'oubli.
Les petits pas dans les grands
Parmi les autres fant�mes, Victor habite le livre, mendiant son pass�. Personnage de l'entre-deux, sans histoire, sans personnalit�. Il est l'incarnation de cette amn�sie ant�rograde qui semble justifier l'histoire de l'Am�rique centrale. Mais il n�est pas seul : dans nos pens�es l'accompagneront peut �tre maintenant Roque Dalton, Carlos Reina, Narciso Lopez ou d'autres inconnus ressuscit�s ici. M�me William Walker... Raison premi�re de ce livre qu�il ne fait qu'enjamber, l'aventurier nous semble aussi vain que ses compatriotes de l'oubli. Il mourra, c'est certain... d'ailleurs chacune de ses apparitions est un sursis : � il veut devenir pr�sident de l'Am�rique centrale (..) il ne lui reste plus que quatre ans � vivre �. Retomb� en poussi�re, il balaiera les pays qu'il a voulu conqu�rir.
Les plus belles oraisons sont les plus sobres. L'auteur use de la virgule comme d'un soin palliatif � notre m�moire d�faillante, surajoutant encore et encore. A force de d�tails, la luxuriance bouche l'horizon. Il manque � notre regard la hauteur et le d�tachement, perdus que nous sommes dans des jungles touffues ou des villages poussi�reux. Patrick Deville a ce terrible relativisme des �rudits. Il sait que la r�alit� �crase le r�ve, une fois les yeux ouverts. Il ne nous l'�pargne pourtant pas. A toutes choses �gales...H�las !
Laurent Simon
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