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La Coiffeuse
| | La Coiffeuse Lars Gustafsson Joelle Losfeld
| Prix éditeur 12.00 euros
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Le roman, paru en 1999, se d�roule au Texas, choix peu innocent quand on conna�t les pr�occupations et le parcours de Lars Gustafsson, �crivain et philosophe de formation, et surtout l�actualit� d�alors (tuerie de Waco, peine de mort) qui correspond au deuxi�me mandat de George W. Bush � la t�te de l��tat. Nous voil� donc � Austin, avec nos id�es re�ues et cette insondable na�vet� qu�on pr�te volontiers � l�Am�rique profonde, telle cette r�flexion qui a la vie dure : � Pensez-vous que les Nations-Unies projettent vraiment d�annexer l�Am�rique ? (p.38) �. Il y a aussi les confusions genre �fracture du myocarde� dont les Am�ricains, pour le coup, n�ont pas le privil�ge de l�exclusivit� : � syst�me nerveux automatique � (pour autonome, p.31).
Mais il y a surtout les amalgames, courants dans la population qui, sans conna�tre les dossiers, retient quelques faits marquants qu�elle associe de mani�re fantaisiste : � la couche d�Ozone �crase toute la ville, et on sent comme une sorte de poids sur la t�te (p.40) �, � j�ai lu beaucoup de livres, � propos de tout. Mais surtout des catastrophes, comme les changements d�inclinaison de l�axe terrestre, les nouvelles glaciations [�] c�est un processus qui va en s�acc�l�rant, chaque mois le ciel devient plus p�le, et les rayons cosmiques qui parviennent ainsi jusqu�� nous lib�rent de nouveaux types de virus capables de contribuer � la disparition quasi certaine de l�humanit� (p.77-78) �. C�est une illustration de la perte d�int�r�t pour la rigueur scientifique, �galement sensible en France, alors m�me que la coiffeuse �taye ses assertions � grand renfort de r�f�rences pseudo-scientifiques � Discovery Channel et autres magazines grand public.
La Coiffeuse, notre barom�tre populaire
Car tout ce qui pr�c�de, on l�apprend de la bouche du seul narrateur du roman, une coiffeuse bavarde au possible, qui laisse libre cours � sa pens�e pendant qu�elle coupe les cheveux � un honorable professeur d�universit�. L�artifice de la coiffeuse pour d�crire l�opinion (am�ricaine en l�esp�ce mais l�id�e est valable pour les autres pays) est un exercice litt�raire d�autant plus int�ressant que l�auteur y m�le les clich�s que d�fend une soci�t� donn�e, et all�grement colport�s par cette digne repr�sentante du peuple, tant par ses conversations avec la client�le que par les sujets qui l�int�ressent. A notre connaissance, voici le premier roman qui en fait l�acteur principal, et m�me l�unique n��taient les rares acquiescements de t�te et �parses corrections du professeur qui l��coute d�blat�rer, sans doute plus amus� et blas� qu�attentif et agac� et par tant de futilit� Il participe peu � la conversation, pas int�ress� par l�intense logorrh�e de la coiffeuse.
Plus que les propos pr�c�dents, ce sont de nombreuses allusions qui signent son engouement pour l��sot�risme. Elle parle avec les morts, croit � l�au-del�, au destin, aux anges, elle est m�me voyante � ses heures), elle adore les rumeurs et mentionne les frasques amoureuses de tel magistrat, non sans rappeler les siennes avec le Juge Caldwell� Mais il y a aussi des passages touchants, des faits concrets qui pars�ment la vie d�une personne : comment �lever ses enfants quand on est famille monoparentale : � ce n�est pas si facile d��tre une maman seule [�] dans de telles conditions (p.38) �, ou encore l�omnipr�sence de la t�l�vision caract�ristique des temps modernes, surtout aux USA, que l�auteur brosse avec maestria : � � la maison, [la t�l�vision] reste allum�e des journ�es enti�res [�] C�est comme un bruit de fond. A peu pr�s comme le ventilateur [�] Comme un moulin � pri�res qui tourne tout seul. De sorte que les filles ne font plus rien d�autre que de regarder des programmes idiots (p.36) �. Il y a aussi l�attaque en r�gle contre les D�mocrates lorsqu�on est R�publicain et Texan, les propos qui trahissent la banalisation de la peine de mort, le souvenir de tel criminel notoire, ou encore dans un autre registre, l�absence de participation � des activit�s culturelles : � Mon dieu, il y a tellement d�ann�es que je n�ai plus �t� au th��tre (p.64) �. Accessoirement, la coiffeuse prouve qu�elle a excellente m�moire, m�me si elle est parfois distraite.
Cependant, il est dommage que l�auteur ait trop d�lay� son propos. En effet, la coiffeuse se perd souvent en consid�rations sans int�r�t, preuves de l�ignorance et la superficialit� que l�auteur entend certes d�crire. On a compris l'id�e, mais les longueurs st�riles dans ce court roman �prouvent autant la port�e du texte que la patience du lecteur : un texte plus ramass� aurait gagn� en poigne comme en saveur. Le livre se lit en quelque 90 minutes, et comme un texte se lit deux � trois fois plus vite qu�il ne se dit, il semble qu�en situation r�elle la coiffeuse ait d� parler quelque trois heures d�affil�e au bas mot ! C�est trop, beaucoup trop pour une coupe d�homme, pas assez pour une dame. Cette invraisemblance de la dur�e serait parfaitement pardonnable si la qualit� du texte et du propos avait �t� constamment � la hauteur, puisqu�il s�agit de privil�gier le fond sur la forme, d�utiliser la coiffeuse pour illustrer la pens�e profonde d�un peuple.
D�ailleurs, l�id�e d�utiliser la coiffeuse reste g�niale et l'on peut s��tonner qu'elle n�ait pas �t� exploit�e auparavant, car le barom�tre populaire qu�est la coiffeuse bavarde, plus que la fleuriste ou la sup�rette du coin, a de quoi enrichir la litt�rature mondiale. Malgr� certaines r�serves, cette id�e du livre est excellente, et m�riterait de faire recette.
Philippe Cesse
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