La Nuit rebelle Robert Eymeri

Prix éditeur 18.00 euros

Bienvenue � Lisbonne, ville dont on dit qu�elle ne dort jamais mais qui r�ve les yeux ouverts� De J�r�me Dubourg, h�ros de cette l�gende urbaine, on ne saura pas grand chose. Qu�il s�ennuie ferme � son modeste poste d�employ� de bureau � l�ambassade de France. Qu�il s�est r�cemment s�par� d�une certaine Pascale n�ayant pas perdu de temps pour refaire sa vie. Qu�il a pris cette mauvaise habitude de passer � c�t� de sa propre existence, locataire d�un temps s��coulant impassiblement.

Envo�tante Villa Faloa

Le bouleversement tant attendu viendra donc de cette invitation impromptue pour un concert dans le mythique palais Faloa, dont on dit qu�il a rendu fou son actuel propri�taire, Armindo Noguiera. La proposition �mane d�une certaine Alba : elle semble bien conna�tre J�r�me, lui n�en a jamais entendu parler. Robert Eymeri va fonder l�intrigue de son livre sur ce double myst�re que repr�sentent Alba et la villa Faloa et que J�r�me va chercher � �lucider. Toutefois, loin du roman policier, c�est plut�t dans un monde d�illusions, de faux-semblants et de flous inqui�tants - dont magie et fant�mes font partie int�grante - que nous naviguons, sans jamais toucher terre ferme.
A peine arriv� au Palais Faloa, J�r�me est d�embl�e envo�t� par l�atmosph�re du lieu, son s�duisant d�sordre, ses pierres us�es, en partie envahies par une v�g�tation luxuriante et anarchique. Guid� par la petite fille de son h�te, il apprend non sans surprise qu�il �tait bien attendu mais qu�Alba dort d�un sommeil inhabituel et l�gendaire, entre r�ve et veille lascive, le sonhos. Attendant le r�veil de sa belle inconnue, �cartel� entre croyance et d�ni, J�r�me se perd peu � peu au c�ur de cet endroit ensorcelant qui devient un personnage � part enti�re dans un roman tiss� d�improbable.

Magic� ! Magic� !

Tout le roman d�Eymeri est rythm� par les interm�des musicaux d�un pianiste dont on ne saura jamais le nom, et dont la puissance de jeu �veille chez ses auditeurs des �motions oubli�es. D�une page � l�autre, l��vocation � la fois visuelle et olfactive des fleurs innombrables qui tapissent le domaine, prend toute son ampleur : � Des bananiers bleuissants, des arbres � pain, des euphorbes aux bract�es sanglantes, des jatropes, des h�liconias aux becs rouge et vert� �. Elles �voquent dans un parall�lisme volontaire certains paysages d�Am�rique centrale o� la jungle s�est lentement appropri� les ruines de temples mayas aux dieux vaincus par la modernit�.
Rites ancestraux, l�gendes indiennes, l�auteur fait revivre dans un r�ve hallucinatoire un monde disparu, o� le temps s�est arr�t�, hant� par la saudade. Comme dans un labyrinthe mythique, r�el et imaginaire ne cessent de s�entrecroiser sans qu�aucune fronti�re ne soit jamais dessin�e clairement. Servi par un style po�tique aux images particuli�rement parlantes, Eymeri ensorcelle � son tour le lecteur qui croit parfois sentir le parfum ent�tant des orchid�es, et s��gare comme J�r�me dans les couloirs de la villa menant parfois � la chapelle �croul�e d�un couvent guat�malt�que sans qu�on s�en �tonne�


Oser la vie

Vous l�aurez compris : c�est � une c�l�bration onirique de l�existence que Robert Eymeri vous convie. Oubliez le rationnel, la logique, oubliez le monde tel qu�il est mais pensez � celui qu�il devrait �tre. Un monde o� l�on s�aime en �coutant de la musique � la perfection surr�aliste, un monde o� les enchantements n�ont pas encore �t� tu�s par la technique, un monde o� la plus belle nature n�est pas celle des hommes. Simpliste ? Non, pas �crit de cette fa�on. Il faut en effet reconna�tre � notre auteur une r�elle qualit� d��criture, doubl�e d�une parfaite ma�trise de l�art d��vocation. Lisez par exemple le r�cital : � J�r�me et l�enfant n�eurent que le temps de s�asseoir dans un fauteuil avant qu�une premi�re note ne tinte. Cristalline, pure, lumineuse (�) Une seconde note lui succ�da, plus sensuelle, plus ronde� J�r�me la vit s�enrouler lentement autour de son corps. Beaut� totale du son qui se prolonge, vrille l�espace, l�ouvre, le d�couvre, le retourne, l�all�ge, le soulage� il frissonna. � et ce n�est que le d�but !
Bien s�r, il reste quelques maladresses de dialoguiste mais elles sont bien vite oubli�es dans un texte � la plume particuli�rement soign�e, o� une forme aux allures po�tiques souligne surtout la richesse d�invention de l�histoire. De mises en abyme successives en vertiges ascensionnels, on se prom�ne dans une villa Faloa tout droit �chapp�e d�une r�verie baroque, en fredonnant la Madame r�ve d�Alain Baschung. Dans un univers tour � tour f�erique ou inqui�tant, empli d�une sensualit� non d�pourvue de violence, � parce que le d�sir traverse la mort �, la r�f�rence � David Lynch dont se r�clame Eymeri prend tout son sens.
A la lecture de ce premier roman �tonnant, on est d�finitivement s�duit. Esp�rons que cette � d�rive immobile � ne restera pas un acte isol�

Ma�a Gabily