Le Fait d�habiter Bagnolet Vincent Delerm Actes Sud (Papiers)

Prix éditeur 7.00 euros

Qu�est-ce que ��Le Fait d�habiter Bagnolet���? Est-ce le titre obscur d�un s�minaire de sociologie urbaine�? Le point de ralliement de personnages que tout oppose en apparence? Ou bien serait-ce plut�t un fait totalement anecdotique, vide de signification, un fait qui, dans la classification Delermienne, trouverait sa place � la case ��point commun � deux balles���?

��Le Fait d�habiter Bagnolet�� est en r�alit� un compte rendu extr�mement circonstanci� des instants d�cisifs qui pr�c�dent le premier baiser de Simon et d�Alice. Diss�qu�e, quasiment chronom�tr�e, la gen�se de cette rencontre amoureuse se d�veloppe lentement sous nos yeux. Autant le dire tout de suite, l�histoire d�amour qui s�en suivra n�a que peu d�importance�: elle durera sept ans et huit mois�; se r�duira dans le souvenir de ses acteurs � un appartement commun rue d�Al�sia, � un ��sentiment m�l� � l��gard des robes en lin�� pour lui et � ��une m�fiance excessive envers les gar�ons ayant choisi allemand premi�re langue�� pour elle. L�essentiel se joue donc avant�: dans la rencontre elle-m�me, dans la naissance du d�sir et le rapprochement des corps�

Dans une atmosph�re o� affleure un d�sir amoureux grandissant, un jeu de ping-pong s��tablit entre les monologues int�rieurs d�Alice et de Simon. Par un jeu de transparence totale des consciences, Delerm nous offre une position de t�moin privil�gi� de la naissance de ce couple. Fort de son exp�rience amoureuse pass�e, chacun tente d�analyser m�thodiquement ce qui lui arrive et cherche � reconna�tre dans les paroles de l�autre un trait r�v�lateur d�une personnalit� qui reste � d�couvrir. Les futurs amants avancent ainsi � t�tons, l�un vers l�autre, dans l�opacit� de la relation naissante.

On se reconna�t vite dans les h�sitations d�Alice et de Simon aux prises avec le jeu de la s�duction�; on sourit de leurs maladresses�; on rit de leurs interpr�tations compl�tement d�cal�es et on se rem�more des instants semblables. Simon voit ainsi dans la pr�f�rence d�Alice pour une pizzeria le signe �vident d�une enfance marqu�e par des moments de f�te pass�s dans ce type de restaurant. Elle, en r�alit�, aurait pr�f�r� de loin une cr�perie�: mais prudente, elle fait un choix qu�elle juge plus neutre pour le cours de leur relation�
Simon tente de rationaliser le cours des choses, d�y voir une succession d��v�nements pr�visibles, qui constitueraient classiquement toute rencontre amoureuse�: �tape 1�: la phase de d�nigrement des �v�nements environnants n�cessaire � la prise de contact, �tape 2�: l��vocation d�un sujet qui tient � c�ur, une chanson par exemple (ici Never let me down again de Depeche Mode), �tape 3�: la discussion plus conventionnelle� Mais bien loin d�ob�ir � cet encha�nement causal obligatoire, Alice, est simplement s�duite par l�attitude positive de Simon, par sa technique particuli�re pour couper les toasts�

Le couple amoureux selon Vincent Delerm na�t donc d�une s�rie de malentendus et d�incompr�hensions dans lequels on cherchera plus tard les causes (devenues alors �videntes) de l��chec de la relation. Mais apr�s tout peu importe�: le magn�tisme amoureux continue de s�exercer, le d�sir d�op�rer et comme l�annonce tr�s t�t le narrateur�: ��ils s�embrasseront sur le trottoir � 23h43��.
Derri�re un foisonnement de d�tails, Delerm r�ussit une jolie parabole sur le myst�re du d�sir amoureux et l�in�luctable ressort du rapprochement des corps. Il joue habilement de cet effet de miroir entre deux syst�mes de r�f�rences, entre deux mondes, qui se r�pondent, se jaugent, se d�sirent� Il exprime simplement l�ind�passable dichotomie des consciences qui forme le couple par la comparaison de deux frises chronologiques � chacune �tablie du point de vue d�un de ses personnages � et qui retracent le cours de leur rencontre de fa�on oppos�e.

Agit�e par un myst�rieux ressort, la relation prend peu � peu de la substance, se nourrissant de ces petits riens qui forment un r�f�rent commun. C�est le myst�re de la s�duction, imperceptible, in�luctable, qui pousse Simon et Alice l�un vers l�autre. M�me l��vocation des possibles d�sillusions � venir ou de peines de c�ur encore vivaces n�y peut rien et l�instant d�cisif approche. Les c�urs s�emballent, les phrases se font plus br�ves et les derni�res questions essentielles se bousculent�: ��quelle est la position d�Alice sur les orages�?��, ��est-il possible que la personne id�ale [�] commande autre chose qu�un cappucino�?��.

Incapables d�y r�pondre mais anim�s par l�envie de l�autre, Simon et Alice sautent le pas vers l�inconnu�: ��nous verrons bien���

Olivier Dumoulin