#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Flashback : Blondin, comme les bl�s rebelles

 Premi�res et derni�res nouvelles
Antoine Blondin
La Table Ronde
Prix éditeur
15.00 euros

Il pensait avoir des difficult�s pour �crire, toujours, il ressentait l�angoisse de la page blanche, toujours, et dans ses nuits de la m�me couleur, braillait des hymnes � ses plus grandes passions : le sport, l�amiti�, la litt�rature, l�alcool. Quand para�t en 1949 L�Europe buissonni�re, roman d�une guerre peinte au couteau et au culot, l�ancien �tudiant en philosophie, qui subit l�enfer des camps de concentration pendant deux ans, choque. On n�attendait pas un r�cit aussi d�sinvolte sur une p�riode noire, achev�e � peine quatre ans auparavant. Mais, avec Antoine Blondin, on allait lire ce qu�on allait lire, plus tard dans des journaux aux marges de la bien-pensance intellectuelle, dans les r�cits hom�riques du Tour de France estival, dans les nouvelles et les romans o� des personnages juv�niles traversent les �v�nements avec l�indiff�rence des d�sabus�s.

Le d�sespoir joyeux

Ironie et d�rision marquent les romans d�un auteur qui trouve dans l�alcool et la litt�rature les viatiques n�cessaires pour lutter contre le tragique de sa vie. Mis en sc�ne dans Monsieur Jadis, ses liaisons dangereuses avec Madame la Bouteille r�sument son mode de traduction des questionnements existentiels qui le hantent : une d�mesure dans l�exercice de ses fonctions vitales, une course apr�s les limites � franchir, une irresponsabilit� totale qui r�pond � une absence totale de sens. Les douze Premi�res et derni�res nouvelles in�dites, publi�es aujourd�hui par Alain Cresciucci, biographe de l�auteur, ne d�rogent pas � la r�gle. Ainsi dans � Prendre le quart �, texte que la soci�t� Perrier avait command� � Blondin sur (comble !) le th�me de la soif, c�est m�me l�irrationnel et l�incongru qui soulignent la vanit� de toute chose. Lors d�un safari, quelques hommes racontent ainsi leur exp�rience limite de boire de l�eau : un capitaine narre celle qu�il ingurgita quand son bateau coula, le narrateur expose comment il s�entoura de plantes vertes et de qui�tude pour vivre l�irrempla�able jusqu�� ce qu�un � moment vint, o� je r�solus d�oublier cette aventure, d�coiffai mes cousines, abattis le saule pleureur [�] et pris une cuite d�anthologie �. Traduction : tout mais pas l�eau.

Comme pour mieux donner � sentir l�humanit� � et donc la complexit� � de toute situation, Blondin allie les contraires : un style classique et d�cal�, avec imparfait du subjonctif et images scabreuses, situations banales et �vocation de grands �crits, burlesque et tragi-comique. Dans � Le soir du 24 d�cembre 1950, il faisait froid � Nazareth �, l�auteur transporte la Nativit� � l��poque contemporaine, enl�ve tout caract�re sacr� au r�cit du Livre pour en faire une histoire irr�ductiblement humaine et donc sujette � tout humour et jeux de mots. � Un charpentier nomm� Joseph faisait les cent pas devant la porte d�une modeste cr�che de la banlieue de J�rusalem �. En bleu de travail, � ce charpentier �tait ch�meur ; sa femme �tait enceinte ; la cr�che �tait municipale �.

Assis sur un banc, le travailleur r�fl�chit � l�avenir de sa famille qu�il faudra nourrir quand la foule, inform�e par la rumeur qu�un Joseph et une Marie attendent un enfant, vient entourer l�homme pour louer l��tre � venir, agissant tel qu�un peuple biblique sachant son avenir l�aurait fait. Et dans ce m�lange des r�alit�s, c�est la litt�rature et ses genres qui est interrog�e: litt�rature existentielle ou religieuse, psychologique au niveau de l�homme, conte, fable� Tout se m�le chez Blondin, comme dans cette � Histoire de No�l � qui fait retrouver un gamin et sa m�re, pauvres, dans un grand magasin, le soir du 24 d�cembre, o� ils peuvent s�offrir tout ce que la nuit des cadeaux leur permet� tout ce que la nuit et ses r�ves, parfois partag�s, leur permet.

Un gar�on d�honneur*

Quand il ne d�tourne pas les lois des genres, comme dans � Mireille et les sir�nes � o� la litt�rature de gare est vis�e (beaux h�ros, grands sentiments, un coup de th��tre et une �criture entre ironie et pr�ciosit�), Blondin appr�hende s�rieusement cet endroit exigu o� se loge la faiblesse chez l��tre, qui t�moigne de son humanit�, quand le r�gne animal est la loi du plus fort (� Histoire de No�l � et les deux gendarmes du d�but, par exemple). Quand il n�essaie pas d�appr�hender la condition de l�homme sur Terre, c�est encore dans les marges qu�il trouve ses sujets : la figure de l��crivain devient aussi bien ic�ne sacrificielle qu�objet de d�rision (� Une belle carri�re �).

Les exigences qu�Antoine Blondin s�imposait dans l��criture avaient quelque chose de paralysant pour celui-ci qui tirait le fil de son roman d�un seul mouvement, r�digeait pratiquement sans rature, en peu de temps, dans la tension : pourquoi �crire un mot si on doit l�enlever apr�s ? Cette apparente assurance ne doit cependant pas cacher la simplicit� de sa condition : �crire n�est pas facilit�. Dans � Prendre le quart �, nouvelle au th�me si autobiographique, le narrateur qui dit � je � ne peut que rappeler l�auteur mais c�est un autre personnage qui, �crivain, raconte la gen�se-m�me de la nouvelle ou encore le r�le de l�eau, �quivalent � celui de la madeleine de Proust. Blondin, si peu s�r de ce qu�il est, de la condition de l��crivain, n�ose se pr�senter entier dans ses nouvelles ou, � l�inverse, propose une satire de la R�publique des lettres germano-pratine dans � Une belle carri�re �.

D�butant par � il �tait une fois �, il introduit, jubilatoire, toutes les complexit�s d�une litt�rature r�aliste dans la forme id�aliste du conte : son texte devient satire de m�urs litt�raires qui ressemblent furieusement � un tableau contemporain. Un auteur sans tare ni particularit�, donc sans succ�s, est pouss� par son �diteur � se mettre en sc�ne et se d�couvre un b�gaiement combattu dans sa jeunesse. La dictature de la mode s��tant m�me invit�e entre les pages, tout le monde se d�couvrit b�gue et un lectorat grandissant permit � ce nouvel auteur riche de s�installer dans le fauteuil d�un jury litt�raire. Les jeux de mots et de notes donne physiquement sa place � l�ironie au milieu de phrases au fran�ais limpide (� Le d�nombrement de Bethl�em de Bruegel �).

Blondin, en dilettante s�rieux, se promena ainsi dans les lettres comme un sursitaire qui trouva l� son expression privil�gi�e et le leurre de l��ternit�. � Sans le d�mon de la litt�rature, il f�t devenu un excellent joueur de 421 �.

* Roman de Blondin, La Table ronde, 1960

Olivier Stroh



 
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