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Berceuse
| | Berceuse Chuck Palahniuk Gallimard
| Prix éditeur 22.00 euros
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Le d�but est pourtant convenu... Carl Streator est un journaliste rattrap� par son sujet : une enqu�te sur la mort subite du nourrisson. La narration l'aspire tout de suite � une toute autre �chelle. Il apprend par la lecture d'un livre de comptine la "chanson d'�limination". Et tue. Ou plut�t oblit�re, efface... sans le sang ni les larmes. La victime tombe et rejoint la colonne des faits divers qu'en tant que journaliste, il a longtemps contribu� � remplir. Carl assassine au d�but par inadvertance, ensuite par curiosit�, enfin par n�gligence : � il se pourrait bien que j'ai tu� tout l'immeuble �. Litanie ent�tante qu'il ne peut faire cesser. Une arme de destruction massive entre des mains parano�des. Alors, Carl Streator essaie de se ma�triser � je compte 4, je compte 5... � pour ne plus tuer ces � dramo-oliques, ces tranquillophobes � : ses bruyants voisins, son r�dacteur en chef... Ce faisant, Chuck Palahniuk susurre cette doucereuse question : si vous pouviez tuer sur simple demande, le feriez vous ? Inqui�tante sensation de normalit� face au meurtre.
L'Enfer commence avec L
Mais il n'est pas seul. Helen Hoover Boyle, agent immobili�re de maisons hant�es, a elle aussi appris la chanson. Au bout des l�vres de ces improbables Ant�christs : l'Armageddon, pour peu qu'ils soient inattentifs. S'en suit un Road-movie hallucin�, les deux maudits partant � la recherche de tous les exemplaires du livre tueur sur fond d'Am�rique white-trash et de d�lires new age, aliment�s par leurs compagnons d'infortune. Ces deux hippies version nihiliste, Mona et Oyster, se bercent du secret espoir de voir l'humanit� s'effondrer dans un silence de mort, parce que � dans la production des oeufs, tous les poussins m�les sont pass�s � la moulinette vivants et r�pandus comme engrais �. Une fois votre lecture achev�e, vous n'ignorerez rien des atrocit�s de l'industrie l'agroalimentaire. Et ce n'est pas la moindre �tranget� du livre.
L'oeil du schizo
L'univers que propose Chuck Palahniuk est border-line, pourri, d�liquescent. Et pourtant c'est le n�tre. Etonnante narration, pleine d'incongruit�s qui laissent naus�eux et pantelant. Avec au palais l'arri�re-go�t d'un fruit pourri, saveur persistante m�me une fois le bouquin referm�. Chuck Palahniuk a ce talent tout lynchien de faire surgir le "bizarre" -au sens psychiatrique du terme- de lieux communs mis bout � bout. Il avait d�j� commis le roman matriciel de � Fight-club �, film � la cicatrice encore vive. Il fourrageait d�j� alors, avec un talent malsain, dans les combles moisies de notre soci�t�. Pr�tez donc une oreille � cette � berceuse � assassine : vous percevrez pas le surnaturel mais juste la monstruosit� humaine, accroch�e pleins phares. Il n'y a qu'un R de d�fection entre mot et mort, en voil� la preuve.
Laurent Simon
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