|
|
Le Soleil des Scorta
| | Le Soleil des Scorta Laurent Gaud� Actes Sud
| Prix éditeur 19.00 euros
|
Sud de l'Italie 1875. Un homme s'approche � dos d'�ne de Montepuccio, un petit village perch� � fond de falaise devant la mer. Il s'appelle Luciano Mascalzone, sort de 15 ans de prison pour vols multiples et n'a qu'une obsession : faire l'amour avec Filomena Biscotti - une jeune fille qu'il convoitait avant son emprisonnement. Le destin moqueur voudra qu'il couche par erreur avec sa soeur Immacolata. Dans les heures qui suivent, Luciano meurt, lapid� par les villageois vengeurs : " C'est ainsi que naquit la lign�e des Mascalzone. D'une erreur. D'un malentendu. D'un p�re vaurien, assassin� deux heures apr�s son �treinte et d'une vieille fille qui s'ouvrait � un homme pour la premi�re fois. (...) D'un homme qui s'�tait tromp�. Et d'une femme qui avait consenti � ce mensonge parce que le d�sir lui faisait claquer les genoux. "
Les derniers seront les premiers
Cette �treinte honteuse engendra donc un fils : il s'appellera Rocco, deviendra � son tour un voleur, un tueur, et s'enrichira de ses crimes. De son union avec une sourde muette dont on ne saura jamais le nom, il aura trois enfants, Domenico, Guiseppe et Carmela. A sa mort, il donne toutes ses richesses au vieux pr�tre de Montepuccio, d�sh�ritant par ce geste sa propre descendance :
" Sais-tu � quoi tu les condamnes ? demanda encore le cur� (...)
- Oui, r�pondit froidement Rocco. A vivre. Sans repos. "
Il en sera ainsi. Le lecteur, happ� � son tour par cette terre cruelle o� le soleil brille comme un poids ind�passable, s'attache � la destin�e de cette famille maudite, plus seule dans ce village que ne l'est un arbre dans le d�sert.
Une double narration s'installe. Le r�cit du pr�sent, d'abord, o� l'on voit ces h�ritiers de la faute originelle grandir, se battre contre leur mis�re, fonder � leur tour une famille, affronter courtes joies et grandes douleurs avec cette m�me rage car " rien ne rassasie un Scorta ". Le r�cit du pass� ensuite, par la voix lancinante de Carmela, vieillie, qui prend pour t�moin le nouveau pr�tre de Montepuccio et lui raconte ces zones d'ombres de l'existence des Scorta, ignor�e de tous mais � l'influence d�cisive. De l'entrelacement de ces r�cits, se d�gage peu � peu la pr�sence inoubliable de cette famille dont le premier combat fut toujours celui qu'elle eut � mener contre la vie m�me.
Parce que le destin a parfois envie de jouer avec les hommes...
Quand on a lu La Mort du Roi Tsongor, roman r�compens� l'an pass� par le Goncourt des Lyc�ens, on est frapp� par ce don de Laurent Gaud� � cr�er la moindre parcelle d'un lieu, � pouvoir d�gager toute l'envergure d'un personnage qui fait vivre l'univers dans lequel il se tient autant qu'il se confond avec. Lorsque Gaud� �voque le soleil des Pouilles, c'est nous qu'il br�le, lorsque la voix de Carmela Scorta se fissure sous l'�motion, c'est nous qui en ressentons la blessure. Cette �criture visuelle n'est d'ailleurs pas sans rappeler certaines sc�nes du Parrain de Martin Scorcese, tant, par exemple, dans cette notion sacr�e qu'est le clan, que dans l'image ensoleill�e et humaine de l'Italie qui s'en d�gage.
En lisant ce roman aux allures �piques, o� le fatum des trag�dies grecques semble toujours aussi moderne, on est sensible � la teinte humaniste dont il est impr�gn� : " les hommes comme les olives, sous le soleil de Montepuccio, �taient �ternels ". Trop peu d'�crivains savent aujourd'hui atteindre cette dimension de la simple humanit�.
Trop peu aussi savent allier la profondeur d'une histoire � un style cisel�. Nous laisserons ainsi le dernier mot � la bouleversante Carmela : " Le ciel se penche pour nous �couter. Je vais tout raconter. Le vent emporte mes paroles. Laissez-moi penser que je parle pour lui et que vous ne m'entendez presque pas ". Heureusement, nous l'avons entendue.
Ma�a Gabily
NB: Le Soleil des Scorta a remport� le prix Goncourt 2004.
| | |