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Les Menteurs
| | Les Menteurs Marc Lambron Grasset
| Prix éditeur 19.00 euros
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Ca fait toujours un peu snob de dire qu'on n'a pas compl�tement aim� un livre que la critique encense et dont on murmure qu'il pourrait obtenir le Goncourt cette ann�e, mais c'est un avis sinc�re. Les Menteurs ou beaucoup de bruit pour rien.
Dans la s�rie � la vie c'�tait mieux avant �, on demande Marc Lambron.
Claire, Pierre et Karine sont les menteurs de ce roman. Ils se sont rencontr�s en 1974, durant leur hypokh�gne dans un grand lyc�e de Lyon. Les deux premiers vont tr�s vite former un couple parfait, faisant le d�sespoir de la troisi�me. A l'issue de la pr�pa, Claire et Pierre r�ussissent le concours de L'Ecole Normale Sup�rieure (qui leur offre la traditionnelle voie royale pour l'agr�gation et ce qui s'ensuit) mais se s�parent assez vite. Karine, recal�e, va gal�rer quelques ann�es tant sentimentalement que professionnellement. Ces trois-l� ne se reverront pas pendant 25 ans. Un bon pr�texte pour installer un r�cit polyphonique o� chacun prend tour � tour la parole et raconte sa vie - donc la France - en simultan�.
Ca partait pourtant bien...
Ce n'est pas que Marc Lambron �crive mal, bien au contraire. Il n'�tait pas �vident de se glisser dans la peau de trois personnages aussi diff�rents que ses h�ros, encore moins de donner � chacun un ton et un propos qui le caract�rise sans confusion possible. Ce pari l� est r�ussi. Claire, l'universitaire archi-dipl�m�e fan des grands penseurs tels Barthes ou Derrida, est sentencieuse et r�fl�chie. Pierre, le fonctionnaire culturel pass� dans le priv� lucratif, pratique avec sagacit� l'ironie et la pointe d�sabus�e. Karine enfin, la mal partie finalement devenue r�dactrice d'un grand magazine f�minin, adopte le ton moqueur et caustique des rescap�s de la jungle sociale. Un point commun � tous, la d�ception. On devrait d�cerner des m�dailles de m�rite � tous ceux qui refusent de voir d�molir leurs id�aux.
Ce style assur�ment ma�tris� sert donc d'�crin � une pierre sens�e d�crire une certaine France de 1960 � nos jours. Soit. Claire nous parlera donc avec nostalgie de Michel Foucault et sa � diction imp�rieuse �, de Lacan � soupirant tel un vieux dragon sorti de sa grotte (...) l'air de guerroyer contre une n�buleuse de d�mons invisibles � et de la � bont� effondr�e � d'Althusser. Pierre s'amusera lui de la fascination des jeunes �narques pour une � entit� nomm�e "le ministre", qui se rendait plus volontiers visible aux journalistes qu'� ses subordonn�s �. La palme du persiflage revient � Karine, tr�s � l'aise dans son r�le de fausse conne aguerrie au pratique du jeu social. On aime notamment sa fa�on d'�voquer le nombre de mariages pr�cipit�s qui ont eu lieu du c�t� de Neuilly � la fin des ann�es 1980, avec les petites Sybille et les petits Thomas qui naissaient six mois apr�s la c�r�monie .
Bref, on n'a rien contre l'�crin, somme toute brillant, c'est plut�t au diamant qu'on reprocherait de laisser certaines facettes dans l'ombre.
Mais �a manque d'envergure
Soyons clairs. Pas que le propos de Lambron soit faux ou inint�ressant. C'est vrai que les gens n�s dans les sixties n'ont pas connu de conflits mondiaux comme leurs grands parents, ni particip� au grand �lan retomb� de 68 comme leurs parents. Vraie aussi cette conclusion qu'ayant grandi en r�citant le verbe �tre ; il fallait d�sormais conjuguer le verbe avoir. Quand une pens�e fond�e sur la r�volte devient le dogme de nouveaux ma�tres, quand la haine de l'histoire fait le lit des amn�sies, quand le publicitaire et l'homme politique se donnent la main pour r�duire le chant de la vie � quelques slogans, une certaine dignit� meurt, qui est celle de la d�licatesse . On pleurerait presque.
Non. Ce qui chiffonne de fait, c'est que le milieu fran�ais d�crit par Lambron semble singuli�rement se r�duire � un Paris circonscrit � quelques arrondissements (plut�t d�but de liste), valsant entre intellectuels normaliens/germano-pratins, et bobos suiveurs de mode. Difficile donc malgr� la mention de l'origine ouvri�re des parents de Claire ou l'incursion de Karine dans la movida underground, de croire que ces personnages sont autre chose que de petits bourgeois, certes cultiv�s, mais plaintifs. Non pas qu'on demande � l'auteur de faire du Zola, mais quitte � vouloir t�moigner d'une �poque, autant diversifier les points de vue. Autrement dit, si Les Menteurs interpellent logiquement une cat�gorie parisienne intellectuelle et privil�gi�e, on doute qu'ils parlent autant � une pharmacienne de Saint-Etienne... Sur le m�me mod�le (un destin individuel servant de couverture � toute une �poque), on pr�f�rera d'ailleurs le souffle entra�nant de cette com�die confinant au tragique qu'est Une Vie fran�aise de Jean-Claude Dubois(l'Olivier).
Conc�dons � Lambron qu'il est un v�ritable �crivain, pratiquant l'art du verbe � haut niveau. Mais sur le fond, il manque son but. De justesse. Ma�a Gabily
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