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L'Invit�
| | L'Invit� Sok-Yong HWANG Zulma
| Prix éditeur 18.00 euros
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Un roman sur la r�alit� des visites en Cor�e du Nord et sur l'histoire commune aux deux Cor�e. Ecrit en langage courant, c'est un t�moignage romanc� et convainquant des retrouvailles qui se d�veloppent entre les deux pays fr�res...
De temps � autre, les m�dias rapportent les pourparlers entre les deux Cor�e, avec parfois des images �mouvantes de parents pleurant dans les bras des uns des autres, apr�s quarante ans de s�paration ou davantage... Le roman d�crit ainsi l'histoire moderne de cette ancienne nation : la guerre de Cor�e, le clivage politique institutionnalis� par la partition du pays et l'omnipr�sence de la foi chr�tienne sont autant de th�mes forts qui sous-tendent l'ouvrage. Le roman est presque enti�rement �crit au style direct, sous forme d'�changes verbaux : le voyage et les pr�paratifs sont propices aux rencontres et aux discussions.
S'il n'est pas un sommet de lyrisme litt�raire comme certains titres de Chung Ook ou Yi Munyol, l'auteur sait y faire pourtant : " l'entr�e d'un village au d�but de l'hiver. Un ciel bas et lourd p�se sur les montagnes, les premiers flocons de neige voltigent dans l'air. Un homme d�vale la colline (p.12) ". On s'y croirait malgr� l'�conomie de mots, rappellant ce vers d'un po�me Spleen de Baudelaire : " quand le ciel bas et lourd p�se comme un couvercle "... Ces tableaux trop rares sont compens�s par le t�moignage vivifiant propres � la grande Cor�e.
La Chr�tient� au Pays du Matin Calme
Au visiteur qui visite S�oul le soir, le foisonnement des croix chr�tiennes rehauss�es de n�ons rouges dans la p�nombre g�n�rale a de quoi surprendre... C'est que les missionnaires occidentaux ont fait du bon travail depuis le XIXe si�cle : le pays est une enclave chr�tienne en terre bouddhiste et confuc�enne, comme l'est la Pologne catholique en territoire orthodoxe ou protestant...
La diversit� de cultes est donc grande en cette p�ninsule, malgr� les piques et n�gations entre chr�tiens et bouddhistes, et m�me entre croyants et ath�es.
Car la chr�tient� a aussi r�ussi � transposer ses pr�noms en sino-cor�en : Joseph devient Yo-sop ; Daniel, Dan-yol ; ou encore Samuel, Samyol... Mais l'�vang�lisation s'est parfois faite dans la violence, le lynchage et les exp�ditions punitives : les chr�tiens d'abord pers�cut�s commettent les m�mes exactions, au nom de la vengeance... De fait, le protagoniste, Ryu Yosop, est un pasteur exil� aux Etats-Unis qui revient en visite en Cor�e du Nord, d'o� le titre de l'Invit�. Et ce sont les histoires de sa famille, ourl�es dans celles de la Cor�e r�currentes dans la conversation, qui servent d'alibi aux trois th�matiques vues plus haut.
La mort, omnipr�sente
Or l'invit� n'est pas seulement l'�tre humain qui voyage, c'est aussi le germe qu'il transporte... Car les �trangers, comme jadis les conquistadores au Nouveau-Monde, propagent leurs maladies.
Dans un pays d�chir� comme celui-ci par la colonisation japonaise d'abord, et la guerre de Cor�e ensuite, les souvenirs vont bon train. Ce sont surtout les clivages religieux et id�ologiques qui aveugl�ment brisent les familles et fauchent la vie : " en ce temps-l�, on tuait par haine, mais aussi pour montrer aux autres sa propre d�termination. Quiconque se montrait un tant soit peu compatissant devenait id�ologiquement suspect. Personne ne faisait attention � personne (p.243) ".
L'Invit� en Cor�e du Nord
Yosop rencontre tour � tour les membres de sa famille et les amis qu'il n'avait vus depuis sa jeunesse... Les guides, affect�s par les autorit�s, font du z�le et arrangent ses visites, y compris la permission de passer la nuit chez elles, un rare privil�ge... Bien entendu, les critiques envers le r�gime instaur� par Kim Il Sung sont � peine voil�es, avec l'accent sur les cons�quences terribles qu'a depuis endur� le peuple, � commencer par les famines � r�p�tition.
Ce tribut, �lev� et av�r�, cache cependant un biais patent : nulle mention des magnifiques r�alisations du r�gime, que propagande et guides commis d'office ne manquent pourtant jamais de louer : le Palais de l'Enfance n'a pas d'�quivalent au monde, et le m�tro de Pyongyang rivalise en beaut� avec celui de Moscou... Une louange parmi toutes ces d�nonciations �tait-elle si politiquement incorrecte ? Sans aucune sympathie pour le dernier r�gime stalinien sur terre, pourquoi ne verser que dans la mode de vilipender tous les ren�gats du monde libre ?
En revanche, le discours militant des officiels nord-cor�ens est bien rendu, � foison m�me : l'emploi de termes st�r�otyp�s pr�te encore � sourire, aujourd'hui plus que jamais tant ils apparaissent d�suets et t�moins d'une �poque r�volue... Et quand ils d�crivent la barbarie impunie de la guerre, on ne peut que compatir : " le 18 octobre 1950, lendemain du jour o� Sinchon est tomb�e aux mains des forces ennemies, les criminels am�ricains ont extermin� neuf cents citoyens dont trois cents femmes et enfants qu'ils avaient enferm�s dans un refuge anti-a�rien : ils y ont d�vers� de l'essence et mis le feu (p.111) ". En se retirant, les nazis avaient agi de m�me dans certains villages de France...
Enfin, comme feu les magasins Beriozka de l'ancienne URSS, les �trangers � Pyongyang ont aussi o� �changer leurs devises contre des biens import�s d'Asie et d'Occident, inaccessibles aux habitants locaux, � l'exception des dignitaires... Le texte est ainsi �maill� d'anecdotes qui l'enrichissent et renforcent sa cr�dibilit�. Une excellente fen�tre sur l'histoire r�cente de ce peuple martyr...
Claudio SEPULVEDA
� 2004, ArtsLivres
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