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Dorine Bertrand, La preuve par neuf
| | La preuve par neuf Dorine Bertrand Le Dilettante
| Prix éditeur 13.00 euros
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Prouver, c�est mettre en �uvre tout un tas de d�marches pour arriver � une r�alit� particuli�re : on veut plaire ou faire plaisir, on cherche � se r�aliser, on refuse de se soumettre, on veut �tre reconnu� Dans son premier livre, Dorine Bertrand prouve par neuf nouvelles qu�on peut sourire du mal-�tre : et c�est toute une peinture du r�el qu�on s�appr�te alors � embrasser.
C�est agr�able, de laisser ses yeux courir sur les lignes, sans r�sistance, de les �carquiller de surprise, ou encore, de les faire revenir un peu en arri�re pour pouvoir rire � nouveau� C�est m�me finalement assez rare, dans le paysage litt�raire fran�ais. Il devrait �tre plus fr�quent de lire pour se divertir r�ellement, au lieu de sombrer trop souvent dans des marasmes de complexit� et de torture mentale. Parce que ce n�est jamais un gage de g�nie, bien au contraire. Cela ressemblerait plut�t � une sorte de mouvance. �a doit �tre dans l�air du temps, de flirter avec ces formes de pessimisme et de no future auto-fictionnels : mais quand bien m�me les r�alit�s sont dures � vivre, il n�est pas exclu de les partager sur un ton plus l�ger.
Et c�est ainsi que Dorine Bertrand nous dresse la preuve, � travers neuf r�cits tr�s accessibles, qu�on peut �tre une jeune trentenaire pleine de talent sans pour autant avoir le don d�endormir les foules. En lisant La preuve par neuf, un recueil d�dicac� � au voisin du dessus �, on glisse tour � tour de notre propre vie � nos propres pr�occupations, pour finalement revenir � nos propres contradictions. Dorine Bertrand, c�est un peu nous finalement. Une voix au timbre jamais grave, qui s��l�ve parmi toutes les autres, et qui se joue du quotidien de nos vies en se l�appropriant. Pourra-t-on dire ici, sans trop avancer de d�finition h�tive, que c�est un peu �a, �tre �crivain ?
Juste une question d'�ge
Sous couvert de th�mes plus ou moins s�rieux, donc, la jeune nouvelliste distille une s�rie de v�cus qui ne sont pas sans relation, les uns par rapport aux autres. Souvent, en effet, c�est d��ge oppressant dont il est question : ainsi, lorsqu�on est un homme de 39 ans et six mois, on se prend en pleine face le constat accablant qu�on est pile au milieu de sa vie. Sans pouvoir rien y faire. Et l�, tout y passe : tout ce qu�on n�a pas fait, tout ce qu�on aurait voulu faire, tout ce que l�on a rat� aussi.
Puis, � une autre extr�mit� de la vie cette fois, on fait la connaissance d�une ado attachante de quinze ans, qui r�dige son testament. On comprendra tr�s vite qu�elle agit plus pour r�veiller ses parents, dans une volont� d�appel au secours, que pour jouer les punk des ann�es 2000�
Sans compter, dans deux nouvelles d�affil�e, l��pineux probl�me de la maternit� : le f�tus ou l��ternel dilemme des trentenaires, LE cap � franchir alors m�me que le couple dans lequel il s�inscrit semble sans logique, abandonn� � lui-m�me. Dorine Bertrand donne certainement beaucoup d�elle-m�me dans tout �a, et excelle dans le constat sans complaisance de nos petites banalit�s : on est envieux des autres tout en �tant, quelque part, assez satisfait d��tre soi-m�me. On cherche sa place, dans l�espoir de s�y caler bien confortablement, avant de comprendre qu�on ne la trouvera jamais vraiment. Mais tout cela n�est qu�une question d��ge, finalement : on assiste � la vie dans ses petites contrari�t�s, par paliers successifs. Ces nouvelles, si l�on veut bien, c�est un tout philosophique : mais une philosophie du quotidien.
Puis, tout � coup, la simplicit� am�ne au s�rieux. Dans l�ultime nouvelle, on bascule dans une dimension un peu alt�r�e : entre r�cit et t�moignage maladroit, une voix masculine s��l�ve. Un militaire raconte sa vision de la guerre, � c�te connerie �. Et l�, on se retrouve tout penaud : on se rend compte que, mine de rien, on a lu neuf preuves d�arr�ter un peu de se plaindre.
Julien Canaux
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