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L�ami de Bono
 | | L�ami de Bono Jean Gr�gor Mercure de France
     | Prix éditeur 15.00 euros
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Une chanson en dit toujours beaucoup sur celui ou celle qui se la passe en boucle. Dans ce quatri�me roman de Jean Gr�gor, il n�est pourtant pas question de fanatisme, ni de groupies hyst�riques : on suit les parcours de destins ordinaires, les tubes d�hier s�encha�nent, et on ferme les yeux�
Il est des romans qui sont � appr�hender comme autant de films : L�ami de Bono fait partie de ces �uvres hybrides, au carrefour des genres. Pendant les quelques heures que durent la lecture, c�est une v�ritable bande-son qui nous accompagne et nous renvoie sans cesse � l�univers du cin�ma : bourr� de r�f�rences musicales, le sc�nario propose des s�quences tr�s d�tach�es, comme des sc�nes qui n�auraient pas forc�ment de rapports entre elles.
Les titres des chapitres eux-m�mes proposent de se rem�morer dix-sept chansons mythiques, et l�on se replonge avec d�lectation dans les hits plan�taires que sont With or without you de U2, ou Hotel California du groupe Eagles. Des titres qui ont pratiquement touch� tout le monde : et l�, on se sent happ� par la nostalgie des vrais tubes� Avant de revenir au pr�sent, rappel� � l�ordre par la radio qui gr�sille les banalit�s habituelles.
Sur le mode des ann�es qui se succ�dent, on se fait donc le t�moin du temps qui passe et les chansons d�filent, intemporelles et g�niales. Un peu comme dans Le p�ril jeune de Klapisch, on suit les vies de Danny Danne, Nicolas Deletre, Sarah Milaire et les autres : ces ados qui se c�toyaient en 4i�me B, vingt ans auparavant, qui nourrissaient des r�ves de vie facile� Et que l�on retrouve, � l��ge de trente-cinq ans, dans des morceaux de vies d�bonnaires, dramatiques, voire parfaitement insipides. D�un sujet rebattu, finalement, Jean Gr�gor parvient � faire du neuf : dans un style froid et uniquement descriptif, il construit et d�construit ses personnages en les pr�sentant tour � tour d�sirables puis mis�rables, d�abord pleins d�assurance et charg�s de soucis par la suite. Quand les bonnes chansons se font rares, en somme, on se met � d�p�rir�
Sweat dreams are made of this
Danny Danne est le premier � nous renvoyer � notre propre adolescence � cette �poque pas si lointaine o� notre vie toute enti�re �tait r�gie par la d�gaine destroy de tel chanteur grunge, et o� un pantalon trop court et des mocassins devenaient tout � coup indispensables pour danser� Sauf que Danny Danne, sorte d�antih�ros romantique et tortur�, n�est pas forc�ment accro � Kurt Cobain ou � Michael Jackson. Danny, lui, est comme prisonnier de la voix du leader de U2, Bono, qu�il consid�re comme un ami qu�il n�a pas encore rencontr�. Le jeune homme bizarre et solitaire ne se d�finit donc pas comme un fan de base, ou comme l�amateur d�un look ou d�un style particulier. Et Bono ne constitue pas non plus pour lui un objet de fascination. Alors quoi ?
Danny �prouve simplement la conviction, intime et tenace, d��tre connect� au chanteur par un lien obscur. Les albums qu�il �coute chantent sa propre vie. Ils se connaissent, c�est s�r. Mais la fatalit� aura raison de cette passion d�vorante pour la musique de U2 : un jour, alors qu�il �coute With or without you, le jeune Danny subit une attaque foudroyante, sorte de r�action physique � la superbe chanson qui le submerge. � Je ne peux pas vivre, avec ou sans toi � susurre Bono. Et l�, la partie droite toute enti�re de son corps se fige myst�rieusement, paralys�e. La musique l�a litt�ralement entam�.
D�sormais h�mipl�gique, Danny Danne fait le choix inflexible de ne plus �couter de musique. Il y est semble-t-il trop sensible� Mais au fil du temps, alors qu�il s�embourbe dans un r�le de p�re de famille rat�, le besoin de rencontrer Bono se fait de plus en plus insistant. Vital. Aussi ne distingue-t-il plus qu�une unique solution : partir pour l�Irlande, � pieds, m�me en boitant, sur la terre qui a enfant� U2 et, surtout, ce lointain ami si sp�cial. On h�site alors entre r�ve et r�alit� le long p�riple de Danny Danne ne serait-il pas surtout mental et virtuel ? Car il y a beaucoup de symboles dans ce voyage, dans cette qu�te de soi, � travers cette longue marche. On cherche quelqu�un, mais c�est surtout soi-m�me qu�on voudrait rencontrer. Annie Lennox ne le chantait-elle pas dans sa chanson phare ? Les jolis r�ves sont faits de �a : on voyage � travers le monde, on voit les sept mers� Tout le monde cherche quelque chose. Julien Canaux
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