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Ton corps
| | Ton corps Richard Morgieve Pauvert
| Prix éditeur 14.03 euros
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Elle s'appelle Emily et son absence nous heurte, nous d�passe, nous obs�de. Elle est femme disparue, partie au loin avec la froideur contondante d'une femme qui sait qu'elle ne reviendra pas. Plus jamais. Elle laisse � ses os � lui l'absence calcin�e du n�ant. Un ruban autour d'une bombe. Celle de la solitude et du d�sarroi pr�ts � exploser � notre figure.
Richard Morgi�ve, �crivain et sc�nariste nous parle d'un sujet universel, d'un de ces th�mes incontournables qui font le monde et le d�font avec cette petite musique d�j� connue et regrett�e : la s�paration. Un homme, le narrateur, d�crit sa longue et trop douloureuse agonie, un voyage sordide dans les replis d'un quotidien d�senchant�, une descente dans les bas-fonds de l'oubli de soi, l� o� l'amour propre n'a plus aucune esp�ce d'importance, l� o� l'autre a pris le contr�le des parcelles les plus intimes de soi. L'originalit� du r�cit, elle r�side sans doute dans le point de vue adopt� : c'est � partir de son corps que l'homme � l'�me �corch�e va tenter de trouver rem�de. C'est le corps, la chair qui apr�s le plaisir partag� doivent montrer � l'esprit qu'il y a une suite, un lendemain, une histoire � �crire. La preuve, Morgi�ve �crit et de la douleur il fait un roman. Evidemment, ce n'est pas derri�re des phrases interminables ou des explications complexes que le narrateur se r�fugie. Il a besoin de crier, de laisser aller au monde et � notre face de lecteur interpell�, son �motion bris�e et son besoin irr�pressible de dompter sa peau et de lui redonner l'envie de la fusion.
Le narrateur a l'amour du mot. Le mot bien choisi, la formule courte, le mot long, le mot bref, celui qui ne signifie rien mais qui tout sugg�re, Ton corps est avant tout un br�viaire de mots et une ode optimiste : la s�paration est difficile, acceptons-l�. Le corps est perdu, retrouvons-le. Le roman de Morgi�ve est surtout la preuve d'un indestructible espoir. M�l�s au go�t des larmes, on sent la chair qui fr�tille, les mains qui peu � peu s'ouvrent, la voix qui reprend de l'�clat. Morgi�ve n'�crit pas seulement, il vit son �criture et laisse ses lettres assembl�es devenir joies de l'�me, �tincelles de la chair, exhortations � l'�treinte pleine, intense, passionn�ment redevenue. Et on y croit.
C'est peut-�tre pour ces lueurs, ces termes g�nialement avanc�s que l'on est un peu d��u � la sortie du roman. Car si le narrateur parvient souvent � provoquer mont�e des larmes dans nos regards attentifs, il arrive aussi � briser cette �motion. En d�crivant pas � pas le squelette d'une th�rapie, il d�veloppe un yoga de la fin de l'amour dont les contours sont tout simplement simplificateurs. Le narrateur devient patient passif d'un appel incompr�hensible de m�decin, ponctu� par de nombreuses injonctions pratiques dont le but est, semble-t-il, de rendre l'homme seul, dont nous ignorons l'identit�, un peu moins tributaire de ses absences et tortures physiques. Mais avait-on besoin de tels conseils pragmatiques afin d'appr�hender le d�chirement amoureux ?
C'est frustrant et ce d'autant plus que le roman est une invitation � cesser d'embl�e tout type de frustration, tout enfermement, toute ponction du laisser-aller d�sordonn� des papilles. C'est frustrant de lire des platitudes alors que deux pages avant, un artisan du c�ur avait assez de talent pour nous fixer sur sa route. " Dans moi seul, et heureux " (p.41), cela aurait pu figurer � la derni�re page. C'est au milieu de l'ouvrage que se trouvent ces mots . Une saveur d'inachev� revient alors nous envahir. Comme si le corps n'�tait pas r�concili� avec l'esprit perdu. Comme si Morgi�ve au del� des mots d'amour et de joie ne touchait pas l'�toffe du renouveau. Celle dont il esp�rait au d�but du roman qu'elle pourrait panser durablement notre c�ur qui saigne, toujours et � jamais.
Céline Mas
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