|  |  | Conte de la folie ordinaire 
 |  |  | Asile de fous R�gis Jauffret
 Gallimard
 
      | Prix éditeur 16.00 euros
 
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  L��tre humain est dou� de parole ; c�est m�me l�une de ses principales caract�ristiques. Si l�on en doutait encore, R�gis
 Jauffret nous le confirme � travers ce roman polyphonique qui
 explore diff�rents registres et usages du langage tout en
 d�busquant les gros grains de folie plus ou moins tapis en
 chacun de nous et de notre entourage.
 
 " Il " est-il le p�re de ses enfants, simplement son mari, ou
 encore son amant ? Est-il un riche banquier ou un simple
 conducteur d�autobus ? Rien de tout cela et un peu tout en
 m�me temps. Difficile d�obtenir le fin mot de l�histoire tant nous
 croulons sous la multiplication des affabulations. Celle dont on
 apprend ainsi plus tard qu�elle se pr�nomme Gis�le se moque
 en effet de tous les �gards dus au lecteur traditionnel, � l�aff�t de
 rep�res chronologiques et narratifs clairs. Au fil d�un r�cit en
 tension constante entre un pass� en permanence recompos� et
 un futur totalement imagin�, elle ne cesse de se d�dire, de
 revenir sur ses mots, voire de douter d�elle-m�me, nous menant
 ainsi d�un bateau � l�autre avant de passer la barre � une
 joyeuse �quip�e. Car � peine a-t-on achev� de tenter de
 d�m�ler le vrai du faux dans les dires de la premi�re narratrice
 que l�on est abreuv� de ceux d�autres composants de la cellule
 familiale, tous aussi aigris, hargneux et seuls les uns que les
 autres�
 Autant de monologues, de complaintes et de critiques entre
 lesquelles les rythmes et les tons varient - adoptant en cela avec
 la virtuosit� d�un cam�l�on la personnalit� et le point de vue de
 chaque protagoniste � et cependant unis par la constance du
 bavardage. Les phobies des uns succ�dent alors aux
 fantasmes et aux griefs des autres, au fil d�une intarissable
 logorrh�e aliment�e jusqu�� �tourdissement des lecteurs et
 �touffement des personnages m�mes.
 
 Une parole de trop ?
 
 Pourquoi un tel malaise face � cette lib�ration de la parole, alors
 m�me que l�on d�plore sans cesse le manque de
 communication entre des �tres qui ne vivraient plus que par
 procuration, soumis au r�gime dictatorial d�images
 omnipr�sentes et st�r�otyp�es ? Un tel d�bordement de mots
 serait alors salvateur, tel le reflux d�un mutisme accumul� au fil
 de nombreuses ann�es de silence� Juste une illusion semble
 nous dire R�gis Jauffret : si les hommes parlent, c�est avant tout
 � eux-m�mes. Entre monologues et dialogues de sourds, tous
 s��coutent parler et se r�v�lent totalement inaptes � l��change.
 En t�moignent ces pages enti�res ou les tirets rythment
 l��criture, donnant l�illusion d�un dialogue quand bien m�me
 qu�un locuteur unique et inchang� accapare le discours. Notre
 soci�t� serait donc de fant�mes �go�stes et utilitaristes qui se
 c�toient quotidiennement dans le plus grand m�pris. Et le flot de
 paroles ne serait qu�un masque visant � combler la
 superficialit� et le creux des rapports humains�
 
 L��criture serait-elle alors pr�f�rable, plus utile, plus efficace
 que la parole ? La mati�re en est pourtant la m�me, mais les
 mots de l��crit, moins spontan�s et plus mall�ables puisque
 susceptibles d��tre retravaill�s, permettraient un m�rissement
 et une r�flexion plus aboutie. Sinc�re ou pas, l��criture a le
 m�rite certain de maintenir une intensit�, et ce jusqu�� la
 pirouette finale, qui, au d�tour d�une habile mise en abyme,
 nous fait douter de l�authenticit� de la paternit� jauffr�enne de
 l��crit m�me que nous tenons entre nos mains. Une v�ritable
 histoire de fous. Et de quoi douter de tout. Si tous ces �tres vous
 rebutent et que jamais vous ne souhaitez en rencontrer, restez
 vigilants. Ils sont peut-�tre bien plus proches que ce que vous
 ne souhaiteriez. L�enfer n�est pas toujours chez les autres�
 D�autant plus que certains peuvent avoir tendance � adopter une
 vision extensive de la famille� � l�issue de cette lecture, toute
 ressemblance avec des personnes connues, notamment de
 votre univers familial, �tant totalement involontaire, elle est en
 effet toutefois hautement probable. Si c�est votre cas, deux
 solutions : recourir � une th�rapie de groupe -apr�s tout, les
 f�tes de fin d�ann�e procurent un excellent motif de
 rassemblement familial - ou bien souscrire au m�me rem�de
 que les dames du Femina : lire le dernier Jauffret, et le l�adopter
 au propre comme au figur�.
 
 Laurence Bourgeon
 
 
 
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