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     | Prix éditeur 9.00 euros
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Dans une lettre ouverte, Bernard Fillaire se rappelle au
souvenir de l��diteur qui lui avait refus� un manuscrit, envoy�
quand il avait vingt ans.
" Cher Maurice Nadeau ". Cela commence ainsi, tant qu��
faire, avec les formes. L�auteur avait port� un texte, �crit d�une
plume passablement d�rang�e, " machin� pour qu�on s�y
perde ", dans plusieurs maisons d��ditions. Il re�ut en retour
les lettres type de rigueur. Un mot engageant de Mr Nadeau
laissa l�espoir s�immiscer. Et puis, rien. Les ann�es ont pass�.
Aujourd�hui la maturit� est l�, le regard est moins na�f et sans
complaisance sur l�oeuvre finalement refus�e par l�alors �diteur
chez Deno�l. " Ce sont les chefs qui changent d�avis " dit un
adage. Manuscrit refus� donc, apr�s avoir eu quelques unes de
ses feuilles publi�es dans la revue " Les Lettres Nouvelles ".
Mais l�ar�te resta coinc�e et Bernard Fillaire, auteur d�essais sur
les escroqueries litt�raires qu�on nomme " n�gritudes " ou sur
le caract�re pour le moins diabolique de sectes diverses, c�de
ici au besoin de r�gler quelques comptes personnels.
R�sulte de cette envie un texte passionnant, d�une teneur et
d�une po�sie comme on aime, avec m�lancolie et
ressentiments rem�ch�s. C�est le r�cit d�une vie hallucin�e. Le
hasard a voulu que le signataire ait v�cu enfant dans une
maison juste en face de celle du c�l�bre critique o� " �
gauche, avant de franchir la cour faiblement �clair�e par une
lune dessin�e � la craie, il y avait la loge, o� tremblait un couple
de vieillard ". Mr Nadeau, point de mire d�un gamin avant de
devenir celui d�un adulte �crivain. On croise dans cette lettre des
gens qui ne jouissent pas de toutes leurs facult�s, l�auteur y
compris, semble-t-il. Timbr�s serait �videmment le mot.
Jacques, le fr�re, qui murmure � l�oreille de cailloux qu�il tient
pour des gemmes. Il fut intern� dans ce m�me h�pital o�
�choua leur m�re que la raison avait quitt�e la nuit de ses
noces. Elle devient d�s lors �trang�re au monde, certes une
belle �trang�re, mais qui " fait le vide " autour du jeune Fillaire.
Elle hante ces pages ; c�est l�enterrement du p�re qui les
conclura. On lit entre les lignes des assassinats parfois
d�guis�s en suicides, � moins que ce ne soit l�inverse.
Il ne faut pas chercher o� s�arr�te le t�moignage et o�
commence le romanesque. Samuel Beckett ou Louis Aragon
sont des passants crois�s ici et l�, des figurants. On est doubl�
sur la route par un Albert Camus assis � la place du mort, une
heure avant l�accident fatal. Des anecdotes. Encore des femmes
en d�collet�, la chair, le refuge. On se prend � regretter le projet
m�rement r�fl�chi puis avort� de l�auteur, d�une recension de
toutes les formes de d�r�lictions r�unies dans un " Dictionnaire
des solitudes ". On passe des larmes vers�es sur soi aux
r�criminations violentes. L�auteur �conduit, aujourd�hui "
polygraphe" sollicit�, se justifie du ton, du choix de tel mot plut�t
que tel autre. La dent se fait plus dure. Il d�fend bec et ongles sa
d�marche d�il y a trente ans. On entend avec lui quelques
conseils avis�s d�un lecteur averti, admir� dudit monde des
lettres, d�couvreur d�un Houellebecq mais aussi �diteur pass�
de nombreux grands noms tels Georges Bataille ou Perec et
autres Jean Reverzy. Et puis vient la question, " � quoi bon, Mr
Nadeau ? ".
Aux derni�res nouvelles, le mot transmis au fondateur de la
maison Nadeau, 95 ans, "l��diteur absent " que Bernard
Fillaire aurait voulu tut�laire, restait lettre morte.
Olivier Ngog
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