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09

Oct

2008

Aria N.
Écrit par Maïa Gabily   
Son absence, un premier roman volatil, qu’on lit distraitement jusqu’au moment où on réalise qu’on est pris dans ses filets jusqu’au cou.

De l’auteur, on ne saura rien ou presque : Justine Augier a 30 ans,
elle vit à Jérusalem. Comme pour ses personnages, elle donne d’elle
une image désincarnée, sans traits saillants. On fera donc sans.

Pygmalion

Il n’est pas évident de rendre en mots l’atmosphère sinueuse et
faussement innocente de ce roman où, croit-on, il ne se passe pas
grand-chose. On évoquera cependant le narrateur, vieil homme plutôt
misanthrope, amoureux de son appartement parisien et de sa solitude,
qu’il ne peuple qu’à l’occasion de son métier : écrivain public, il
s’est spécialisé « dans les récits de vie de personnes parties de
morts violentes » et s’approprie donc leurs vies, le temps d’une
rédaction
. Le grain de sable dans ce rouage paisible se
matérialisera par une nouvelle vie à écrire, celle d’Aria N., 24 ans
au moment de sa disparition, partie sans laisser d’adresse. Très
vite, la mise en abîme romanesque opère : le narrateur trouve et
déroule les mots pour raconter cette jeune existence que l’on
pourrait qualifier d’assez banale et au lecteur de dénouer avec lui
les fils. La vraie spécificité d’Aria, c’est son pouvoir de séduction
sur les hommes, auquel le narrateur n’échappera bien sûr pas. Le
créateur rêve désormais de partir à la recherche de sa créature…
Là est l’originalité de ce roman mélancolique : la possibilité pour
ce personnage écrivain de rencontrer l’héroïne qu’il vient
d’imaginer, puisqu’elle existe de fait en chair et en os, il lui
suffirait d’en retrouver la trace. Un luxe que ne peuvent s’offrir
nos écrivains réels ! Et pourtant, quel artiste ne s’est pas rêvé
donnant vie à son œuvre ?

La vie, roman(s)
Une part de ce livre explore la question de la création en ce cas
précis, l’entrelacs inévitable des faits connus de la personne réelle
dont on doit retracer la vie, et les fantasmes qu’on ne peut
s’empêcher d’y mettre. Le vieux narrateur en fait d’ailleurs le
préalable à l’existence d’Aria qu’il écrit : « (…) je tenais à ces
mots d’introduction pour que vous, les proches d’Aria, compreniez que
malgré les engagements que j’ai pris, nos plumes se sont mêlées,
l’histoire qui suit s’est enroulée à la mienne, et à celle que je
n’écrirai jamais. »
.
On aime les chemins qu’emprunte cette réflexion, et on apprécie
surtout l’écriture qui la met au jour, cette façon délicate qu’à
Justine Augier de poser les mots, les sentiments, avec un amour de la
forme sincère et justement dénué de pose. Les premiers romans
souffrent généralement d’un double défaut : soit ils sont construits
autour d’une histoire intrigante, avec un ton souvent comique tentant
de faire oublier la platitude du style, soit au contraire leurs
auteurs se regardent écrire, poussant parfois la complexité de la
forme aux dépens de la compréhension. C’est donc avec bonheur qu’on
découvre ici une plume réussissant ce difficile équilibre littéraire
et qui, sans prétendre à l’excellence, vous porte au moins avec
élégance jusqu’à la dernière page.

Maïa Gabily

Son absence
Justine AUGIER
Ed. Stock
170 p / 16 €
ISBN: 9782234061









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