Son absence, un premier roman volatil, qu’on lit distraitement jusqu’au moment où on réalise qu’on est pris dans ses filets jusqu’au cou. De l’auteur, on ne saura rien ou presque : Justine Augier a 30 ans, elle vit à Jérusalem. Comme pour ses personnages, elle donne d’elle une image désincarnée, sans traits saillants. On fera donc sans. Pygmalion Il n’est pas évident de rendre en mots l’atmosphère sinueuse et faussement innocente de ce roman où, croit-on, il ne se passe pas grand-chose. On évoquera cependant le narrateur, vieil homme plutôt misanthrope, amoureux de son appartement parisien et de sa solitude, qu’il ne peuple qu’à l’occasion de son métier : écrivain public, il s’est spécialisé « dans les récits de vie de personnes parties de morts violentes » et s’approprie donc leurs vies, le temps d’une rédaction. Le grain de sable dans ce rouage paisible se matérialisera par une nouvelle vie à écrire, celle d’Aria N., 24 ans au moment de sa disparition, partie sans laisser d’adresse. Très vite, la mise en abîme romanesque opère : le narrateur trouve et déroule les mots pour raconter cette jeune existence que l’on pourrait qualifier d’assez banale et au lecteur de dénouer avec lui les fils. La vraie spécificité d’Aria, c’est son pouvoir de séduction sur les hommes, auquel le narrateur n’échappera bien sûr pas. Le créateur rêve désormais de partir à la recherche de sa créature… Là est l’originalité de ce roman mélancolique : la possibilité pour ce personnage écrivain de rencontrer l’héroïne qu’il vient d’imaginer, puisqu’elle existe de fait en chair et en os, il lui suffirait d’en retrouver la trace. Un luxe que ne peuvent s’offrir nos écrivains réels ! Et pourtant, quel artiste ne s’est pas rêvé donnant vie à son œuvre ? La vie, roman(s) Une part de ce livre explore la question de la création en ce cas précis, l’entrelacs inévitable des faits connus de la personne réelle dont on doit retracer la vie, et les fantasmes qu’on ne peut s’empêcher d’y mettre. Le vieux narrateur en fait d’ailleurs le préalable à l’existence d’Aria qu’il écrit : « (…) je tenais à ces mots d’introduction pour que vous, les proches d’Aria, compreniez que malgré les engagements que j’ai pris, nos plumes se sont mêlées, l’histoire qui suit s’est enroulée à la mienne, et à celle que je n’écrirai jamais. » . On aime les chemins qu’emprunte cette réflexion, et on apprécie surtout l’écriture qui la met au jour, cette façon délicate qu’à Justine Augier de poser les mots, les sentiments, avec un amour de la forme sincère et justement dénué de pose. Les premiers romans souffrent généralement d’un double défaut : soit ils sont construits autour d’une histoire intrigante, avec un ton souvent comique tentant de faire oublier la platitude du style, soit au contraire leurs auteurs se regardent écrire, poussant parfois la complexité de la forme aux dépens de la compréhension. C’est donc avec bonheur qu’on découvre ici une plume réussissant ce difficile équilibre littéraire et qui, sans prétendre à l’excellence, vous porte au moins avec élégance jusqu’à la dernière page.
Maïa Gabily
Son absence Justine AUGIER Ed. Stock 170 p / 16 € ISBN: 9782234061
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