Drieu cultivait l’art du paradoxe. Écrivain engagé, « socialiste et fasciste », il se rangea sous l’Occupation du côté des collaborateurs. Romancier de génie, auteur du célèbre Feu follet, il se lia quelque temps avec les surréalistes avant de leur tourner le dos en signant « La véritable erreur des surréalistes », article publié dans la NRF en 1925. Libertin, il multiplia les conquêtes féminines et se maria deux fois avant de divorcer rapidement de chacune de ces unions. Toutes ces descriptions, aussi justes soit-elles, ne reflètent qu’une part de la personnalité hors du commun de Drieu. Une personnalité baignée de clair-obscur. Mais aujourd’hui, un mythe, celui de « l’homme couvert de femmes », est détruit. Dans ses Notes pour un roman sur la sexualité, rédigées en 1943 et restées inédites depuis lors, l’auteur du sulfureux Gilles se met à nu et retrace sans ambages le chemin de croix que fut son éducation sexuelle. Désirs inassouvis Élevé au grain des valeurs bourgeoises et des interdits d’ordre social et religieux, Drieu fut un adolescent frustré. À dix-sept ans et demi, il perdit sa virginité dans les bras d’une prostituée « laide et vulgaire et pas très jeune » qui le mit en garde contre les maladies. En dépit de cet avertissement, le jeune homme commença à fréquenter de loin en loin les bordels avant d’attraper une blennorragie et de contracter la syphilis : « Horrible gêne, sentiment affreux de honte et de salissure. […] Il a pris le sens du péché par l’expérience de la souillure. » Pour Drieu, la sexualité est forcément coupable. Outre son attirance pour les femmes de mauvaise vie, l’écrivain juge assez sévèrement la relation œdipienne qu’il entretint avec sa mère, de même que l’attraction inexplicable qu’exercèrent sur lui certains hommes : « À neuf ans, il est avec sa mère au bord de la mer et son père, arrivé dans la nuit, est le matin dans la chambre de sa mère. Quand il entre, il croyait la trouver seule, il se jette sur elle et, apercevant son sein, il se jette sur lui et le mord. Amour-jalousie. De même, il avait pris en haine par jalousie le garçon qu’il préférait au collège et un jour l’avait battu. Il avait envie de l’embrasser et de le mordre en même temps. » Si Drieu s’est peu à peu dégourdi avec l’âge, la sexualité est toujours restée à ses yeux un problème crucial. Aussi a-t-il choisi, au moment de passer aux aveux, d’employer la troisième personne du singulier, un emploi évidemment superflu, l’écrivain lui-même en était sans doute conscient. Journal d’un homme trompé Un lecteur averti retrouvera dans ces Notes quelques-uns des épisodes romanesques qui traversent l’œuvre de Drieu. Peut-être découvrira-t-il également une poignée d’éléments biographiques inédits, remarquablement présentés par Julien Hervier. Mais ces quelques réflexions décousues, jetées à la hâte sur le papier, ne permettent pas de se faire une véritable idée du talent de Drieu. Elles engagent toutefois immanquablement à loucher du côté de ses autres textes. Au reste, ces notes sont un témoignage bouleversant dans lequel apparaissent les fêlures d’un homme qui manifesta très tôt « une volonté de ne pas bien vivre ou une mauvaise volonté à vivre. »
Ellen Salvi
Notes pour un roman sur la sexualité suivi de Parc Monceau Pierre Drieu la Rochelle Ed. Gallimard 94 p / 11 € ISBN: 2070119394
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