La fiction romanesque, c’est le "tout est possible" : un monde où tout est permis, et où les limites de la création sont sans cesse repoussées. La preuve avec le nouveau Ravalec, où la réalité et la fiction fusionnent littéralement… et où les personnages prennent vie ! Même le nom de Ravalec sonne un peu comme un Rastignac ou un Dantec ; des noms qui font miroiter des images du passé, des possibles, des bizarreries... Avec ce roman, Héros, personnages et magiciens, on se sent très vite happé par un univers de fantaisie et de création qui fait du bien. Car si le style, lui, ne nous prodigue pas forcément de grandes satisfactions, le parti-pris de l’imaginaire, lui, est bien là. Et c’est bien là l’essentiel : les Héros de Ravalec sont les preuves "vivantes" que la création peut aller loin, et que les personnages existent, qu’ils ont une vie bien distincte de celle de leurs auteurs et qu’ils peuvent même devenir... encombrants. Ravalec nous réconcilierait presque avec la création littéraire dans son ensemble : après tout, ne pense-t-on pas trop souvent que "tout a été écrit?" Qu’il y a trop de romans, que les œuvres les plus belles sont derriere nous ? Que Proust aurait brisé les perspectives d’écriture ? Quelques esprits chagrins avanceraient même qu’il ne reste plus rien à inventer... Eh bien, désespérés de tous poils, confrontez-vous donc à l’Hologrammisateur de Ravalec : faites-la marcher, cette satanée machine, et vous comprendrez qu’au contraire, le passé – même fictif – peut aisément revenir nourrir le présent. On s’était dit rendez-vous dans dix ans... Quand Ravalec ouvre sa porte un matin et que deux hommes – sortes de Dupont et Dupont version témoins de Jéhovah – lui proposent de rencontrer ses propres personnages de romans, grâce à un appareil révolutionnaire... les choses ne sont pas encore trop complexes. Mais elles ne vont pas tarder à le devenir. Très vite, grâce à ce fameux Hologrammisateur, Ravalec succombe à la tentation, et les personnages finissent par apparaître devant lui : les siens, bien sûr, car il a écrit plus de trente romans... Mais bien d’autres aussi, et tous finissent bientôt par se faire la malle ! Les êtres de papier ont le pouvoir : ils peuvent prendre corps, comme dans une possession démoniaque qui n’aurait pas besoin d’une enveloppe charnelle. La matérialisation est en marche...Alors certes, quel écrivain n’en a jamais rêvé ? Entrer en relation avec des projections de soi, avec les êtres que l’on a créés pour symboliser son désir, sa folie, sa noirceur... La perspective est intéressante, d’autant qu’un personnage a toujours une apparence plus ou moins floue. On ne sait jamais trop quel aspect lui prêter, quelles attitudes lui donner... Ravalec nous propose même bien plus : leur conférer un destin, une vie indépendante. En effet, que deviennent les personnages d’un écrivain ? Qu’advient-il de leur histoire, de leur parcours au fil du temps ? Les oublie-t-on un jour tout à fait ? Les personnages sont peut-être comme de vieux amis, finalement : on les a imaginés, on a cru les libérer pour un temps, mais se remémorer leur identité, même dix ans après, a toujours un étrange goût de retrouvailles... Tels des revenants, ils n’ont jamais vraiment fini de nous hanter. Oui, de vieux amis…
Julien Canaux
Héros, personnages et magiciens Vincent Ravalec Ed. Fayard 302 p / 18 € ISBN: 2213634661
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