Si la France n’a jamais eu son Joseph Conrad, l’Italie, elle, a trouvé le sien. Dans son dernier ouvrage, l’écrivain piémont Giuseppe Conte, nourri de récits de voyages, lui rend hommage. Il salue aussi Herman Melville, le célèbre auteur de Moby Dick. Inspiré de cette tradition du roman marin anglo-saxon, Le Troisième Officier raconte le périple maritime d’une poignée d’hommes en quête de liberté.
Pour échapper à la disette et à la pauvreté, un jeune paysan breton prénommé Yann Kerguennec s’embarque sur le Saint-Anne, un navire de marchandises qui doit faire route vers les côtes africaines. Une traversée initiatique bouleversante qui le conduira successivement des portes de l’Enfer à un Paradis inventé. Quand l’équipage découvre que le trois mats qui les transporte est en réalité un négrier, un souffle libertaire s’élève pour se propager en mutinerie.
Une ardente passion
Le Troisième Officier est d’abord un roman d’aventures et de formation. Son expérience, Yann la raconte vingt-cinq ans après les faits. La première partie respire la légèreté. Avec une curiosité ingénue, l’adolescent observe la vie à bord dont il rend compte avec un réalisme pittoresque. Outre le quotidien immédiat, il s’intéresse surtout aux rapports humains entre les membres de l’équipage. Il regarde, s’interroge et analyse.
Un homme parmi tous retient son attention : Floriano Di Santa Flora dit "le troisième officier". Il se démarque des autres et du commandant y compris. Digne, fier et beau, il se révèle charismatique. De noble extraction, il porte néanmoins sur le visage une souffrance qui cache un lourd passé. Immédiatement, il suscite chez Yann la fascination. Une amitié va s’établir entre le jeune homme et l’officier. Floriano devient pour Yann un Pygmalion. Il lui apprend à lire et à écrire, lui fait découvrir Milton et les poètes romantiques anglais. Le maître éveille vite chez l’élève une passion ardente qui ne le quittera pas. Au contact de l’être qu’il a le plus aimé, il devient un homme capable de penser par lui-même. Quant à Floriano, l’hautain, le méprisant, le violent et l’autoritaire, l’être d’orgueil et de passions, il s’adoucit pour devenir plus humain. Son mépris du peuple s’atténue au point qu’il se met à développer plus de respect pour les hommes d’équipage que pour les officiers supérieurs. Dès lors le récit perd de sa naïveté. La personnalité du jeune homme s’affirme comme Floriano joue dans l’aventure un rôle de plus en plus important. Guide spirituel, ce dernier épaule Yann dans sa découverte de l’Enfer sur terre. Ensemble, ils se révoltent contre ce qu’ils jugent être la pire cruauté qui soit : l’esclavage humain.
La nouvelle Libertaria
Du roman de formation, Le Troisième Officier évolue vers un récit philosophique avec comme réflexion centrale, la question de la liberté. Quand le Saint Anne quitte le port de Nantes, les Etats Généraux se réunissent à Versailles. Nous sommes alors au début de
mai 1789. Tandis qu’au cours des mois qui suivent, le tiers Etat s’empare de la Bastille abolissant ainsi l’absolutisme royal et la société des privilèges au nom de la Liberté de tous, Floriano et son équipage libèrent les esclaves du navire et crée la république des « Libres » dans l’immense et sombre cœur de l’Afrique. Un village avec ses maisons, sa place et son jardin où tous les hommes sont égaux sans distinctions de races ou de classes. Administré en autogestion, la concertation est la base de ce système politique.
« Une nouvelle Libertaria », cette démocratie représentative fondée sous le règne de Louis XIV par des pirates, « pour Dieu et la Liberté », citée la première fois par Defoe dans son Histoire Générale des plus fameux pirates, reprend forme ici. Le Troisième Officier renoue ainsi avec la littérature politique du XVIè au XVIIIème siècle par le truchement du récit utopique.
Doreen Bodin
Le troisième officier
Giuseppe Conte
Ed. Laurence Teper
376 p / 20 €
ISBN: 7829160182
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