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06

Sep

2009

Avec elle
Écrit par Maïa Gabily   

Sans elle, son premier roman, avait marqué les esprits à la dernière rentrée. Alma Brami récidive un an plus tard avec Ils l’ont laissée là, inoubliable récit explorant l’inceste, et luxe, de façon purement fictive. Confirmation d’un talent.


Alma Brami n’a que 24 ans, des ambitions de comédienne, et un beau parcours de pianiste à son actif. Or, c’est un autre don qui la tire vers la lumière, celui révélé par sa plume, indiscutable quand on a lu ses deux romans, Sans elle l’an passé, et Ils l’ont laissée là paru le 20 août. Presque impossible d’évoquer l’un sans penser à l’autre, tant les héroïnes que chacun met en scène se ressemblent comme deux sœurs.

Ariane

Les sœurs justement, parlons-en. Sans elle était le récit bouleversant de Léa, petite fille de 10 ans tentant de survivre à la mort de sa petite sœur, Solène, et qui s’écriait poignante « Qui suis-je si je ne suis plus la sœur de personne ? ». Aujourd’hui, c’est Déborah qu’on regarde et qu’on écoute, Déborah dont on cherche à saisir la vérité dans le flou d’un discours désordonné.
Car c’est d’abord à ce désordre mental qu’on se heurte et que la famille de Déborah n’a d’ailleurs pas voulu démêler : dés le premier paragraphe, les siens la laissent « là », c’est-à-dire dans une clinique pour les gens comme elle, les fous dont on ne comprend plus la parole. À l’extérieur, Déborah se mure dans le silence mais dans sa tête, c’est une véritable logorrhée : la jeune fille erre au milieu de ses propres mots, oscille entre cauchemars, souvenirs, fantasmes, et avec elle le lecteur, qui cherche à tirer le fil lui permettant de sortir de ce labyrinthe intime de plus en plus angoissant.
Comme dans son roman précédent, Alma Brami fait appel aux couleurs, aux jeux sur les sons, les lettres, véritables portes de sortie de l’enfer mental dont son héroïne est prisonnière. Elle prend soin de ciseler une langue nerveuse, joue avec les mots qui, selon les moments, offrent une incertitude salvatrice ou au contraire se révèlent plus tranchants qu’une lame. Au fur et à mesure que se révèle l’insoutenable vérité, plus qu’à lui tendre la main, c’est nous qui nous accrochons à celle de Déborah, Déborah dont comme ses parents, on refuse longtemps d’écouter le mal-être, trop lourd à (sup)porter.

Jouer juste


À la détresse de Déborah répond la faiblesse qui l’entoure : celle de sa famille écartelée entre indifférence, incompréhension et culpabilité ; celle du corps médical qui tarde à la comprendre ; la nôtre enfin, lecteurs qui nous surprenons un moment à rêver, comme l’héroïne, d’autre chose. Ce n’est pas la révélation de la réalité ou du fantasme de l’inceste qui fait la force de ce roman , mais la façon dont cette révélation est mise en scène, bluffante dans son incessant questionnement du discours de Déborah. Raconte-t-elle la vérité ? Cette mise en doute servie par une écriture terriblement juste, tantôt volontairement vague, ou au contraire d’une précision à la limite de l’insoutenable.
Comment résonner juste quant on aborde un sujet aussi grave ? Rares sont ceux qui s’y sont frottés sans heurts. Avec ce thème délicat, Alma Brami ne choisit encore une fois pas la facilité, mais on est heureusement surpris par sa manière de le traiter avec pudeur, sans jamais tomber dans le pathos, exploit déjà réussi brillamment pour le deuil dans Sans elle. Moins crue qu’un Scott Heim dans Mysterious Skin, plus proche de l’approche touchante d’un Christophe Tison dans Il m’aimait – avec cette différence notable qu’il ne s’agit pas ici d’un témoignage – Alma Brami touche et dérange, parvient à une vraie justesse sur un sujet complexe. Rendons hommage à ce travail d’équilibriste.

Ils l’ont laissée là
Alma Brami
Mercure de France
213 pages
17,5 euros
ISBN: 9782715229327










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