On ne choisit pas sa famille, mais on la subit : tel pourrait être l’adage de ce court roman drôle et poignant dans lequel une femme porte sa croix en la personne de sa vieille mère.
Le dernier film d’Alain Cavalier, Irène, débute par la mort de la mère du réalisateur. De cette mort va découler le projet de rendre hommage à l’autre femme de sa vie, sa deuxième épouse, Irène. Et bien le seul point commun entre le film d’Alain Cavalier et le livre de Rosa Matteucci est précisément là, dans le rapport entre la figure de la mère et la quête de l’amour. Seulement, dans Un amour de mère, Luce doit d’abord s’affranchir du poids maternel pour se rendre disponible à l’amour quand Alain Cavalier met justement en parallèle la perte des deux femmes de sa vie. Luce Giannelli est une quarantenaire normale, « ni belle ni laide ». Il aurait peut-être suffi d’un seul regard pour la rendre attirante. Mais ce fameux regard ne se posera jamais sur elle. Un père mort lorsqu’elle était encore adolescente, une mère qui ne s’est jamais vraiment occupée d’elle et un mari parti avec la première venue avant même de lui faire un enfant. Voilà, en gros, la vie plutôt pathétique de ce personnage qui sacrifie désormais tous ses week-ends à sa vieille mère, Ada. Celle-ci, une Tatie Danielle en puissance, fait payer à quiconque s’approche d’elle son veuvage qui lui a toujours semblé d’une injustice crasse. Et son ultime plaisir – paradoxalement manifestation de sa souffrance – consiste à assujettir sa fille unique en la noyant dans un océan de tâches aussi répétitives que viles et en refusant obstinément l’aide d’une auxiliaire de vie. L’histoire pourrait en rester là, triste face à face mère/ fille, largement illustré par des détails sordides concernant l’hygiène de la mère et de la maison familiale.
Vipère au poing chez les frères Coen
Entre alors en scène une truculente galerie de personnages caricaturaux. Tout d’abord, l’association de deux femmes burlesques, dignes des meilleurs films des frères Coen : Lupenga et Cagnetta. Elles sont sans âge, plutôt laides, vulgaires (l’une d’elles est une ancienne prostituée, l’autre, on ne sait pas trop) et vivotent en volant les personnes âgées. Puis, au détour d’une route, et surtout au volant d’une grosse voiture, surgit Gianluca Trottini. L’homme parfait. Grand, blond, il semble tout droit sorti d’une publicité pour un shampoing antipelliculaire. Son regard intense ne tarde pas à croiser celui de la timide Luce. Cette dernière est soudain frappée par une évidence lumineuse : c’est Lui. Mais elle ne sait pas encore que l’homme porte un secret... L’apogée du récit : un déjeuner de Noël dans l’ancienne école de Luce et de Gianluca. Public essentiellement composé de vieux et d’auxiliaires de vie. Plutôt glauque. Mais Ada a une attaque. Nous voilà entraînés dans son cerveau dérangé, plus particulièrement dans son univers enfantin et onirique. Ce texte piquant, mélangeant habilement les registres de langue, usant largement de l’hyperbole, semble laisser place à une morale inattendue. Un boulanger sorti de nulle part, personnage quasi biblique, absout Luce en proférant ces paroles sacrées: « ce qui durant notre vie nous a fait éprouver de la peine à tous, à certains plus qu’à d’autres, mais à tous, se révèlera le contraire de ce que nous avions cru, parce que le mal deviendra une offrande précieuse qui comblera de joie tous les coeurs. Le tien aussi. » Dénouement mystique ou profondément cynique ? À vous de juger.
Un amour de mère Rosa Matteucci Traduit de l’italien par Lise Chapuis Éditions Christian Bourgois 109 p - 17 euros
Lire aussi :
Articles les plus récents :
Articles les plus anciens :
|