On a le fromage, ils ont l’humour. L’Europe, ça fonctionne comme ça. Et l’humour anglais, ça ressemble un peu au Roquefort : c’est là depuis toujours, et personne ne sait vraiment pourquoi c’est bon. Vus sous cet angle, les Pirates de Gideon Defoe équivalent haut la main un Papillon noir (le top du Roquefort, ndlr). L’an passé, pour leur première sortie en mer, la tripotée de bras cassés et son capitaine hystérique abordaient par erreur le Beagle de Charles Darwin, rempli à la gueule d’une cargaison de singes. On peut vous le dire, la grand voile était déjà bien haute. Cette année, dans Une aventure avec les baleines, les limites de l’infini sont honteusement dépassées. Sir Gid embarque ses pirates pour une escale encore plus réussie, c’est à dire plus loufoque, chez Moby Dick. Au commencement, par exemple, était un navire en sale état. Le mât branle et tombe une énième fois, les fuites fuient et sont savamment colmatées par… des posters. La situation n’est pas tenable, même dans une histoire à dormir debout. Nos professionnels de la flibuste doivent donc travailler un peu et c’est justement là que le bât blesse… Larguées, les amarres. Comme le capitaine est légèrement mégalomane, les pirates se collent sur le dos un bateau de luxe à crédit, avec salles de conférence et terrain de tennis, et, en guise de créancière, la redoutable Cutlass Liz, concessionnaire navale anthropophage. La vraie vie… De trésors invendables en reconversions hasardeuses, l’équipée de joyeux incapables, pour éviter les terrifiantes pénalités de retard, tente à peu près tout et n’importe quoi. En fait, surtout n’importe quoi, et du n’importe quoi de compétition. A Las Vegas, notamment, où le capitaine pirate fait la rencontre décisive d’un Monsieur Achab, pêcheur baleinier monomaniaque et dépressif qui a, lui aussi, ses soucis… (Achab est ce type pourchassant sans relâche une baleine blanche, Moby Dick, dans le très grand roman du même nom, ndlr). L’histoire, évidemment, se termine bien, au prix d’un final pitoyablement dantesque. To be rigolo or not to be rigolo ? Comme dans le premier volume de la série des Pirates, la grande histoire, ici celle de Melville, est très rigolotement parasitée par la fantaisie anarchiste de Defoe. Anarchiste car rien ne mérite visiblement de pitié, et pas Mr Starbuck qui en sera sévèrement pour ses frais. On pourrait dire que ce work in progress est un genre de Monthy Pythons rythmé comme un cartoon de la Warner. Du pirate asthmatique servant d’accordéon aux conversations hilarantes entre le capitaine pirate et Achab, il n’y a en effet pas grand chose à jeter dans cette cour des miracles maritime. Tout ou presque est délire et ironie, servis par une science du décalage dont seul un londonien a le secret. Et tout ça avec une chose rare dans l’humour : l’élégance. Langage chatié, culture substantielle, souvent incongrue, notes en bas de pages pas piquées des vers… De toute façon, c’est tellement bien que les créateurs de wallace et Gromit sont déjà sur le coup. Allez, deux défauts quand même: c’est trop court et le mystère de l’humour anglais reste entier, comme le lait pour le Roquefort.
Marc Delaunay
Les pirates ! Une aventure avec les baleines Gideon Defoe Ed. Le Dilettante 170 p / 17 € ISBN:
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