Elegance, délicatesse, narration impeccable… Avec La Mer, roman d’introspection, John Banville n’a pas volé le Booker Prize en 2005. Amour, deuil et psychanalyse… Un vrai manuel, avec traduction française à la hauteur, s’il vous plaît. Le roman psychologique anglo-saxon est certainement à l’autofiction parisienne d’aujourd’hui ce que l’huile est au vinaigre. Il nage implacablement au-dessus. John Banville, soixante ans et irlandais, en donne une démonstration de plus. Aucune ronflerie préfabriquée dans ces 250 pages. Et pourtant le sujet pouvait prêter le flanc aux errements romantiques qui sonnent creux. Mais à voir l’écriture ciselée de John Banville, on ne peut pas soupçonner l’individu de céder à ces facilités. Max, le personnage central du roman, non plus. Veuf après la mort d’Anna, l’amour de sa vie, il choisit de retourner affronter à la source les traces d’un passé qui « cogne comme un second coeur ». Cette source est au bord de la mer, dans une station balnéaire coquette, où un été seulement façonna l’homme qui se retourne aujourd’hui sur lui-même. Le trou est là, noir et hanté. Humblement, il cherche pendant son séjour le pont vers l’autre rive. Pour comprendre la faille et vivre avec. L’élégance avec laquelle Max nous emmène sur ces chemins qu’il (re)parcourt est ce qu’il y a de plus admirable. A côté de cette exploration intérieure prenante, un roman français contemporain ordinaire est insipide de complaisance narcissico-narcissique vulgaire. A l’ombre d’un vieil homme qui fane... Au fil de son séjour, hébergé par un colonel et une vieille fille, Max redécouvre qu’avant, bien avant Anna, pendant cet été de vacances, il y avait eu Chloé. Et quelle Chloé ! Adorable petite emmerdeuse, émoustillante et dangereuse, dont la douceur est aussi délectable que les brimades sont cinglantes. Une superLolita mutine, joueuse, un peu garçonne, très enfantine donc très perverse, de celles qui marquent au fer rouge les premiers émois d’un jeune garçon timide. Ajoutez-y un jumeau garçon, ambigü et androgyne, et une mère exhibitionniste dévoreuse. Vous avez les tourments du désir primordial au grand complet. Ce qui s’annonçait comme des vacances innocentes s’avère en réalité bien lourd de conséquences. Au fil du récit, qui s'accélère jusqu'à donner la clé de tout, on comprendra que faire le deuil d’Anna exige qu’un autre deuil, plus ancien et plus aigü soit fait. Il le sera. La libération Le roman laisse la pénétrante sensation d’un nœud mouillé qui s'assèche et se lubrifie lentement, pour se défaire sans douleur et pour de bon. Un doute par phrase, souvenir par souvenir, et le canevas se tisse comme une psychanalyse au long cours. Jamais et il faut le stabiloter trois fois, jamais de pathos dans cette histoire aussi dense et précise. Les unes après les autres, les émotions sont restituées, riches parce qu' intactes dans leur contexte, sans jugements retrospectifs. La modestie face à la vie, le sens du détail, l’honnêteté face au désir l’emportent systématiquement sur l’orgueil, ses falsifications, et tous les autres aveuglements du moi. Ce qui s’est passé s’est passé. Avoir le courage d’admettre est une première rédemption. Comme le disait François Bayrou, il y a quelques semaines (si, si…), on est vraiment fort quand on sait qu’on est faible. Qui a contemplé la mer en est convaincu. Cette Mer là est une authentique et très rare leçon.
Marc Delaunay
La Mer John Banville Ed. Robert Laffont 245 p / 20 € ISBN:
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