Anna Borrel, journaliste à Marianne signe ici un roman d’anticipation qui explore une société pour qui la fracture sociale est un doux euphémisme. Expiration ou le souffle d’un bon premier roman… Il ne faut pas confondre science politique-fiction et science-fiction politique. Le premier correspond aux projections de sièges parlementaires lors de l’entre-deux tours des législatives. Le deuxième s’apparente à un genre littéraire de plus en plus répandu chez les journalistes. Car si Orwell, Huxley ou K. Dick, notamment, donnèrent ses premières lettres de noblesse à l’anticipation, il est de plus en plus courant de voir le genre se reproduire chez les journalistes avec Zemour, Algoud ou Borrel. La technique est simple : prendre des thèmes forts de l’actualité (présidentielles, insécurité, écologie…), les plaquer sur une intrigue, amoureuse ou policière et vous obtenez un bon Globalia, voire une prometteuse expiration Dans Paris Expiration donc. Anna Borrel trouve son inspiration dans la crise des banlieues de novembre 2005. Elle y dépeint dans un futur pas très éloigné, un Paris lui très éloigné. La décentralisation de Raffarin a échoué et la France est découpée en zones concentriques autour de Paris. Autant le dire, il n’y a que dans la capitale qu’il est possible de vivre. La fracture de la ville avec le reste du pays est immense. Seuls les riches vivent dans cette zone 1. A quel prix ? Un temple du savoir, la Sorbonne, devient le temple du commerce, du centre commercial même. Au loin, les affrontements entre les banlieusards et les forces de l’ordre, aux portes de Paris (la porte d’Asnières crachotait ses derniers émeutiers) accompagnent l’enquête de Dessandres. Christian Dessandres est inspecteur. Il tente d’attraper l'une des trop rares places de l’ascenseur social pour s’installer en zone 1, lui qui vient d’Orléans, la zone. Il doit pour cela résoudre la disparition d’un corps - il n’y a évidemment pas de crime dans cette société «idéale». Holly holo La subtilité de la SF réside dans l’art de trouver de bonnes idées. Dans le film Les fils de l’homme, la société ne subissait pas de transformation révolutionnaire dans le futur, sinon cette incessante présence de l’hologramme. De son côté, Borrel fait preuve d’une certaine élégance d’écriture pour décrire ce Paris anxiogène, où les morts sont programmées, où les riches se clonent pour le rester. Dans sa projection, il reste même des restes de Royal, puisque la plupart des habitants de la zone 1 portent deux noms : Petit-Chatel, Prez-Richelieu, Quintin-Meyer. Mais les hommes se reproduisent sans amour.«Avant, les femmes relevaient de ce qu’il appelait les loisirs non payants.(…) L’homme devait faire mine de s’intéresser à l’existence de la femme, poser des questions idiotes(…) il n’avait jamais compris la nécessité de ces parades verbales et craignait de s’emmêler dans une pelote de digressions oiseuses. ». Les rapports humains sont annihilés et laissent place au règne du Holo : holopub, holosexe, hollowman. Car l’homme n’est plus que l’ombre de lui-même. Il semble se rapprocher de plus en plus de sa date d’expiration. Que le dernier survivant éteigne la lumière en partant.
Charles Patin_O_Coohoon
Expiration Anna Borrel Ed. Denoël 253 p / 18 € ISBN: 2207259597
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