Après avoir longtemps hanté les rues du Marais, Cyrille Fleischman poursuit ses promenades littéraires du côté du XIe arrondissement. Visite nostalgique d’un quartier juif aux couleurs passées. Place de la Bastille, au croisement de quelques-unes des plus grandes artères de Paris. Autour de la colonne de Juillet gravitent des enseignes commerciales, un opéra et une multitude de brasseries. Les flâneurs sont rarement les bienvenus sur les trottoirs saturés de la place. Pour échapper au remous de la foule, mieux vaut donc s’engouffrer dans les rues adjacentes ou s’asseoir sur un banc et commencer la lecture du dernier livre de Cyrille Fleischman, Riverains rêveurs du métro Bastille. Entre la place de l’Hôtel de Ville, témoin privilégié des premières rencontres de l’auteur, le métro Saint-Paul où il fixa sa trilogie des rendez-vous et la place de la Bastille, toile de fond de ses nouvelles histoires, la distance n’est pas grande. En passant par la rue Saint-Antoine, quelques centaines de mètres tout au plus séparent ces trois lieux. Paris sait se métamorphoser d’une rue à l’autre, mais qu’en est-il des Parisiens ? Chez Fleischman, les Riverains rêveurs du métro Bastille ressemblent nettement aux personnages de ses précédents textes. Il s’agit le plus souvent d’hommes entre deux âges ou de vieillards ashkénazes. Certains d’entre eux participent activement à la vie de leur quartier, d’autres n’ont pas le temps de le faire, tout occupés qu’ils sont à tenir leur petit commerce. Tous pourraient répondre à la description que donne Léon-Paul Fargue dans Le Piéton de Paris : « […] le Parisien n’est pas un être mystérieux. » Histoires juives Dans Riverains rêveurs du métro Bastille, l’auteur remonte le temps jusqu’aux années 1950 et met en scène quatorze personnages aux histoires extraordinaires. Ils habitent rue Saint-Sabin, rue Birague ou rue de Lesdiguières et fréquentent quotidiennement le cinéma Lux-Bastille, à la place duquel se tient aujourd’hui l’Opéra. Rien ne semble a priori les distinguer des autres Parisiens. Pourtant, dans le monde de Fleischman, un petit épicier fait fortune en vendant des maillots de bain parfumés, la femme et la maîtresse d’un seul homme deviennent meilleures amies et les malheureux sont à même de converser des heures durant sur la philosophie bergsonienne. Plus merveilleux encore : les personnages de romans pénètrent dans les librairies en saluant leur auteur, les oncles décédés depuis plusieurs années sortent du plafond pour rectifier la parole d’un neveu malhonnête, les héros des mauvais films s’extraient un instant de la pellicule pour remercier le spectateur indulgent et Balzac surgit de nulle part afin de renseigner les propriétaires désemparés sur les droits accordés aux locataires. Et comme si tout cela avait un sens, ces visites incongrues n’étonnent que très peu ceux qui les reçoivent : « Bon, on avait déjà eu des apparitions dans le quartier, mais ça faisait toujours quelque chose ! » Sans jamais perdre de vue l’humour et la sagesse déjà présentes dans ses toutes premières nouvelles, Fleischman nous entraîne ici au coeur d’une ville réinventée et dépeint par petites touches son rêve parisien. Frappant du talon sur les pavés de la place de la Bastille, il dévoile quelques uns des mystères de Paris, ces « bonheurs imaginaires, situés au-delà des réalités du jour. »
Ellen Salvi
Riverains rêveurs du métro Bastille Cyrille Fleischman Ed. Le Dilettante 160 p / 15 € ISBN: 2842631382
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