Dans un Lisbonne fleuri, chaud erre un homme en proie à un passé qu’il s’est efforcé de fuir. En cette péninsule inconnue, c’est de la solitude qu’il a fait sa meilleure alliée. On l’y suit dans une errance peuplée de fantômes. Mais souhaite-t-il seulement les quitter ? Gilles aimait Diane et Diane aimait Gilles. Rien d’étonnant, ils avaient dix-sept, des rêves plein les yeux et la vie devant eux. Mais un jour Diane s’en est allée, laissant Gilles seul face à lui même et au constat qu’il n’avait jusqu’alors été que dans l’ombre de sa moitié, entre adoration, adulation et promotion de la carrière de la jeune peintre. Contraint de se prendre en main, il rejette la réflexion et opte pour la fuite. Fuite vers un autre quotidien, celui d’une autre contrée où prévalent des mœurs et des tempéraments différents. De la Belgique, il passe ainsi au Portugal dont les rues embaument de fleurs et où la mer voisine agace ou apaise. En route pour une régénérescence bienfaitrice ? Lisbonne donc. Ville ensoleillée dans laquelle l’essentiel de son existence est noctambule. Son choix de vie le rend aveugle aux amitiés et sources d’affection potentielles qui l’entourent, obnubilé qu’il est par la culture du souvenir et du vide qui est en lui. Et qu’il ne parvient pas, ou ne souhaite pas combler. Inaptitude ou manque de volonté ? Car effacer l’image de Diane ne serait-ce pas comme renier sa raison d’être et le sens de sa vie jusqu’au moment présent ? Une vie de chien ? C’est bien l’impression que l’on a en accompagnant ce quadragénaire égaré. Pire qu’un chien cependant, car « un chien ne peut pas concevoir l’avenir, alors il a toujours l’espoir ». Alternant ainsi entre présences, réminiscences et absences, oscillant entre revivification du passé, fuite du présent et ignorance de l’avenir, Alain Defossé produit un étrange sentiment d’atemporalité qui place son récit comme en suspension. Par moments, il glisse ainsi vers la fable, voire l’allégorie (cette Diane a-t-elle d’ailleurs réellement existé ou bien n’est-elle qu’une chimère produite par son esprit désorienté ?). A suivre les déambulations d’un homme qui semble porter un tel poids sur ses épaules et si peu prompt à s’en défaire, on pourrait certes être lassé, voire agacé. Mais Alain Defossé sait éviter les écueils de l’auto-complaisance dépressive et insuffler à son récit suffisamment de poésie pour en rendre la lecture à la fois singulière et réflexive. Entre une hystérie enthousiaste et une non-résignation au bonheur, il existe certainement un équilibre que Gilles, tout attaché à suivre son destin tragique, peine à trouver. A d’autres, un tel espoir sera peut-être donné. Loin de faire l’apologie d’une culture des regrets, Chien de cendres cherche la voie possible entre le refus de l’évaporation des souvenirs et pose la question de la grande question de l'après.
Laurence Bourgeon
Chien de cendres Alain Defossé Ed. Panama 200 p / 14 € ISBN: 2755701234
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