Un voyage à Riga fait ressurgir chez une jeune femme nombre de souvenirs sur sa vie passée. Très vite, l’anecdotique et le personnel s’effacent pour laisser place au récit d’un destin emblématique de la communauté juive de l’après-guerre et à une réflexion sur le poids de l’Histoire. Qui est Samuel Rozowski ? Le titre laissait présager qu’il occuperait une place centrale dans le roman. Or, il est d’abord question de tout sauf de lui. Cette femme qui a tout loisir de se remémorer ses escapades et ses rebellions adolescentes évoque ainsi son enfance à Lyon, au sein d’une famille juive d’anciens résistants au cours de la seconde guerre mondiale. D’elle on ne saura finalement pas grand chose en dehors de ses rêves de jeunesse, de ses convictions et de ses combats. Est-elle simplement devenue une épouse aimante qui suit son mari au gré de ses tournées européennes ? Une seule certitude, la frivolité semble bien l’avoir quitté. Et c’est par sa voix, non pas totalement apaisée mais plus tempérée, que l’on suit un récit entre mémoire et témoignage d’une époque vers les années 1980-90. Car l’on comprend vite qu’elle a connu l’homme du titre et que les frasques adolescentes qui nous ont été contées ne sont pas sans lien avec le destin bien plus médiatique qui sera celui de Samuel Rozowski. Tous deux sont en effet des enfants de la guerre ou de l’immédiat de l’après-guerre. Trop jeunes pour faire eux-mêmes acte de résistance, ils ont toutefois rapidement eu connaissance des actes de leurs parents, à la fois juifs et résistants. Cumuler ces deux statuts suffit, rétrospectivement, à les élever au rang de héros dans leur mémoire. Impossible de demeurer inactif et muet face à un tel héritage. D’autant plus que ne cessent de s’accumuler les révélations sur la déportation et l’extermination des Juifs. Se pose alors la question du choix et du mode d’action. Tous deux rebelles à leur heure, dans leur inadéquation au système scolaire, ils se sentent, inconsciemment dans un premier temps, touchés et investis d’une mission de mémoire, de justice, afin de prolonger les actes de bravoure de leurs parents. Tant pour justifier leur vie en tant que descendance d’une génération marquée par la mort, que pour faire éclore la vérité sur le sort de leurs parents au cours de la seconde guerre mondiale, et ce à travers l’Europe entière, il apparaît nécessaire pour l’un comme pour l’autre de se trouver une cause, un combat. La fabrique d’un héros Pour Samuel Rozowski, ce sera donc la délinquance et les trafics à plus ou moins grande échelle. Des rapines qui ne sont pas sans lien avec le rachat de la mémoire de ses ancêtres. Par ses hold-up et autres braquages, il « se figurait être une sorte d’ange de la Mort de la tradition juive », vengeant ainsi les innombrables spoliations subies par sa communauté. Et ce jusqu’à son incarcération pour meurtre qui, si elle met fin à ses actions d’auto justice, le porte sur le devant de la scène judiciaire et médiatique ; l’absence de preuves en faisant un martyre des Juifs. Car la réalité de son innocence ou de sa culpabilité importe finalement assez peu. Bien plus cruciale est sa capacité à attirer l’attention publique sur lui, le promouvant en véritable porte-parole de la mémoire juive finalement bien plus efficace que l’accumulation de ses larcins. Il est surtout emblématique de ce besoin pour une communauté discriminée de se forger une icône qui porte leur cause sur la scène publique et leur sert d’exutoire. Vie et mort de Samuel Rozowski donc. La notion de naissance se voit d’emblée évacuée car elle est par essence contingente, accidentelle. Héritier malgré lui du poids de la Shoah, il se voit investi d’une mission, d’un devoir qui le dépasse rapidement. Sa vie, comme sa mort d’ailleurs, comme pour tant d’héritiers de cette génération, sont seuls de son ressort. En se conformant à un certain idéal romantique révolutionnaire, il a choisi de se faire justice lui-même. Et si son innocence demeure fortement douteuse, son parcours pointe avant tout le décalage crucial entre les temps de l’Histoire, de la justice et de la mémoire, qui pèse encore sur un
Laurence Bourgeon
Vie et mort de Samuel Rozowski Myriam Anissimov Ed. Denoël 248 p / 18 € ISBN: 9782207256
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