Hommes entre eux… une femme au milieu. Telle est, en un mot, l’intrigue du nouveau Dubois, loin, bien loin de l’humour qui teintait ses derniers livres. Glaçant. Jean-Paul Dubois, journaliste, auteur discret, connu pour ses chroniques sur l’Amérique au Nouvel Observateur , est présent sur la scène littéraire depuis 1984 : déjà dix-huit ouvrages, dont on citera notamment Eloge du Gaucher (1987), Parfois je ris tout seul (1992) , Kennedy et moi (1996) adapté avec succès au cinéma par Sam Kerman, et bien sûr Une Vie française, prix fnac et Femina 2004. On a pu constaté qu’il est surtout toujours là où on ne l’attend pas. Est-ce parce qu’il avait trop plaisanté avec Monsieur Tanner ou parce que notre monde est décidément trop triste pour qu’on le réduise à des blagues d’ouvriers en bâtiment, mêmes drôles, ou à une (belle) vie, même française ? Toujours est-il que Jean-Paul Dubois a perdu son sens de l’humour. Fargo Paul Hasselbank, la cinquantaine, vivant à Toulouse, est en phase terminale d’un probable cancer. Dans un dernier sursaut de vie, il décide de s’embarquer pour le Canada, Ontario plus précisément, à la recherche de sa femme partie quelques années plus tôt, sans laisser d’adresse, ou plutôt si, une carte postale, timbrée du grand nord. Il va bientôt se retrouver face à Floyd Paterson, sorte d’ours solitaire, trappeur au milieu de nulle part, qui chasse à l’arc et vécut, semble-t-il, quelques mois avec la décidément mystérieuse Anna. Rien ne rapproche ces deux hommes que le souvenir de cette femme, soudain obligés à un huis clos oppressant dans la cabane du chasseur, tandis que la tempête au dehors fait rage. Comment ne pas penser au film des frères Cohen à la lecture de ce livre, glacé par le même blizzard dévastateur, le même étouffement ouaté, l’identique idée qu’à situations extrêmes répondent sentiments extrêmes ? C’est pourtant un autre film qui hante les hommes de Dubois, Aguirre ou la colère de Dieu, dont les images violentes, les questionnements révoltés, entrelacent avec justesse le récit de leur improbable rencontre. On entend le vent qui souffle à toute force, on frissonne sous les flèches glacées de la neige toute puissante et pourtant, on est atteint de la même fièvre qui s’est emparé de ces otages d’une météo capricieuse. Etat de nature Si l’on se demande au départ où est cette fameuse Anna, qui elle est, on finit par l’oublier, happé par la confrontation des deux amants abandonnés, avides de saisir leurs propres démons, le fond de leurs cœurs, ce qui fait qu’ils ont pu, chacun, retenir à leur façon la désormais absente. Entre ces tristes héros, quelques savoureux seconds rôles – ah ! le propriétaire de l’hôtel ! - tous obsessionnels et un peu décalés, comme les affectionne notre auteur. Moins roman d’amour que variation terrifiante sur la part animale présente en chacun de nous, la langue froide et efficace de Dubois vient s’inscrire durablement sur le manteau neigeux qu’il dessine, cette neige capable d’enfermer dans sa blancheur la plus sombre des humanités.
Maïa Gabily
Hommes entre eux Jean-Paul Dubois Ed. L'Olivier 231 p / 19 € ISBN: 9782879295
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