Pour son premier roman, Dan Nisand fait l’éloge de la morsure et parvient à broder autour du thème, entre banalité et franche originalité. Un roman qui sort les crocs !
On en arrive même à se poser la question : a-t-on jamais éprouvé ce besoin de mordre ? Le besoin de planter les dents dans quelque chose, quoi que ce soit, d’exercer une pression, puis de le déchiqueter et de le réduire à l’état de lambeaux… Eh bien non. Mais il est vrai que Dan Nisand, ou du moins son narrateur, parviendrait presque à nous refiler son étrange addiction. Car ce protagoniste, dont le nom n’est pas mentionné, a développé cette manie dévorante et semble se délecter de l’analyser, sous toutes les coutures : comme si l’acte de mordre devenait un nouveau sens pour l’homme, ou une nécessité inextinguible pour éviter de devenir fou... Les mots s’enchaînent à la perfection, et la banalité des scènes décrites s’éclipse souvent derrière cette bizarrerie, qui reste toujours là, en filigrane. Professeur de son état, le « héros » de Nisand se présente pourtant comme un être ordinaire, débonnaire et sans histoire(s). Mais sa passion pour la morsure semble le démanger depuis toujours, et il finit par se prendre de passion pour son voisin… Ou plus exactement pour le chien du jeune homme, le féroce Ivan. Car Ivan est un formidable rott’, un molosse à la gueule béante et baveuse… et son maître semble ne l’avoir dressé que pour l’attaque ! Le transfert est alors vite fait : et notre narrateur se met à vénérer la Bête sans limite…
Croquez du creux…
Bizarre, vous pensez bizarre ? On dira plutôt surprenant… et formidablement bien construit. Hélas, extraordinairement scolaire, aussi, et d’une écriture soignée – de celle des plus sages écoliers. Dan Nisand n’a pas son pareil pour conter une histoire, on ne saurait dire le contraire : les dernières pages tiennent d’ailleurs atrocement en haleine – et c’est le cas de le dire, tant le monstre Ivan y tient une place de choix. Mais on peut sans ménagement remettre en question une trame pour le moins désuette… Ainsi, si la consistance des personnages compense sans conteste une certaine maigreur – notamment du livre lui-même –, on ne peut que noter l’absence de prise de risque. Reste une sensation intime de déjà-vu, en fin de lecture… Ainsi qu’un constat qui nous fait sourire, alors qu’on vient de suivre une scène finale plus qu’haletante : on s’est mordu l’intérieur de la joue.
Julien Canaux
Morsure Dan Nisand Ed. Naïve 90 p / 12 € ISBN: 2350210858
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