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22

Déc

2006

Ne rougis pas, non, ne rougis pas
Écrit par Laurent Simon   
"Petite mort", la honte est aussi ubiquitaire chez l’écrivain que la grande l’est chez l’être humain lambda. C’est du moins la thèse de Jean-Pierre Martin dans son très scolaire Le livre des hontes.

Biologiquement, c’est plutôt simple. La honte se caractérise par un afflux sanguin massif provoqué par une vasodilatation des vaisseaux de la face. Certains se contente d’un empourprement localisé aux maxillaires, d’autres adoptent le pivoine intégral. Un bon shoot de neuromédiateurs suffit. Voilà pour le soma, reste la psyché. Et là, c’est une autre paire de manches. A plus d’un titre, l’écrivain fait un bon cobaye, si en tous cas la théorie de Jean-Pierre Martin est vraie : la honte serait consubstantielle de l’acte d’écrire. Que ceux que la vivisection répugne ne détourne pas le regard, il ne s’agit pas d’écarteler des écrivaillons, juste de les écouter et de les lire. En bon scientifique, deux cas de figures se présente : il y a la honte de l’homme qui écrit et celle – pure – de l’écrivain. En gros, la honte en tant que carburant de l’écriture, comme anecdote, et celle, d’une autre nature, qui en est le moteur. Jean-Pierre Martin, pétri de fondamentalisme universitaire, ne s’intéresse qu’à la deuxième dans le livre des hontes, monographie d’une complétude un peu lassante. Baudelaire, Duras, Gogol, Dostoïevski, Sartre, Applefeld, Bassani, Gombrowicz… tout le monde y passe. Ce qui pourrait presque passer pour une étude ontogénétique : si la honte n’est pas nécessaire à l’écriture, elle semble indispensable à l’écrivain, selon lui. L’alpha mais pas l’oméga, le début mais pas la finalité.

« Such a shame »

Le problème est qu’elle s’insinue partout : on peut avoir honte de tout et avec tout le monde. Honte d’être juif, honte d’être vieux, jeune, trop poilu ou pas assez… pour un peu, elle serait plus ubiquitaire que la mort. Jean-Pierre Martin reprend avec justesse cette définition qui veut que la honte soit « état supérieur de conscience », et donc en tout état de cause une « version 2.0 » de l’âme, plus qu’un de ses produits comme la colère, la peur, la tristesse, la mélancolie ou autres « humeurs » - au sens médical du terme. C’est peut-être lui prêter trop d’importance. Le livre des hontes n’est d’ailleurs jamais aussi intéressant que l’auteur se met un peu en scène et y insuffle un peu de légèreté. C’est avec gourmandise qu’on l’imagine traversé des mêmes affres que celles qu’il dissèque.
Grand prince, Jean-Pierre Martin consent une petite fantaisie en guise d’épilogue : après nous avoir perclus d’érythèmes, il nous donne les dix solutions valables selon lui pour y échapper. Zone vous en révèle deux : la bouffonnerie, autant en rire, et le transformisme, autant se cacher. Premier jet d’une « hontologie », selon le néologisme de Lacan, le Livre des hontes pourra néanmoins se lire dans les transports en commun sans recouvrir la couverture de papier Kraft. Ce n’est tout de même pas un SAS. Ca, c’est la honte.

Laurent Simon

Le livre des hontes
Jean-Pierre Martin
Ed. Editions du Seuil
317 p / 0 €
ISBN: 2020859807
Tags: Les dossiers









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