Parmi la centaine de premiers romans publiés en cette rentrée littéraire, paraît chez Grasset celui d’un « illustre connu » : Truman Capote. Une lecture inédite. Dans les années cinquante, le jeune Truman Capote n’a pas encore écrit d’œuvre majeure mais jouit d’une certaine notoriété à New York depuis la récente parution de son premier roman, Les Domaines hantés. Lorsqu’il quitte son appartement de Brooklyn et demande à son concierge de le vider, il est sans doute loin d’imaginer que ses effets personnels seront placés, un demi-siècle plus tard, dans une vente aux enchères de Sotheby’s. C’était bien sûr sans compter avec la cupidité (la prévoyance ?) d’un voisin qui, le jour du déménagement, récupéra sur le trottoir photographies, lettres et « papiers » pour les conserver précieusement pendant plusieurs années. Parmi ces reliques, le premier manuscrit que Capote rédigea vers l’âge de vingt ans, La Traversée de l’été. On devine sans mal la conclusion de l’affaire : en 2004, le voisin meurt et ses héritiers décident de tout vendre. Il faut dire qu’en cinquante ans, la donne a changé, le jeune Truman étant devenu l’un des plus grands écrivains américains du XXème siècle et ses livres rencontrant le succès partout dans le monde. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans Voilà pour la petite histoire. L’autre, c’est celle de Grady McNeil, une jeune fille de dix-sept ans issue de la bonne société new-yorkaise. C’est la première fois qu’elle passe l’été seule dans l’appartement familial qui donne sur Central Park. L’absence de ses parents en voyage en Europe, un Manhattan désert et caniculaire… Toutes les conditions sont réunies pour traverser le plus romanesque des étés. Les choses s’annoncent d’ailleurs plutôt bien puisque la demoiselle est secrètement amoureuse. L’élu de ce cœur tendre s’appelle Clyde Manzer. Très loin du gendre idéal auquel aspirent les McNeil, il est juif et gardien de parking à Broadway. Malgré leurs différences, les deux jeunes gens s’aiment, chacun à sa façon : Grady se passionne pour cet écorché vif qui mène une vie à l’opposé de la sienne, Clyde s’amourache de cette enfant gâtée dont l’innocence pourtant l’exaspère. Ils sont impatients comme peuvent l’être les adolescents et ne mesurent pas toute la dangerosité de leur élan. Quand la jeunesse prend la plume Certes, La Traversée de l’été n’est pas le plus grand roman de Capote. C’est avant tout un récit de jeunesse rédigé par une plume encore ingénue qui s’autorise parfois quelques images emmiellées. On perçoit cependant les thèmes de prédilection de l’auteur de Petit déjeuner chez Tiffany’s : les égarements de la jeunesse et la cruauté des milieux aisés de New York. Ce texte vient compléter une œuvre dense dans laquelle les lecteurs pourront se (re)plonger sans plus attendre. En le lisant, on pense moins à De sang froid qu’aux nombreuses nouvelles, aux impressions et aux portraits, où se dessine la figure d’un homme jamais égal à lui-même. Écrivain prolifique qui expérimenta ses propres limites, dans la vie comme dans la fiction, Capote reste cet être hors norme, ennemi des catégorisations systématiques. « Le “sombre” Capote et le “brillant” Capote, le Capote “spectral” et le Capote “solaire” ; je crois que tout ça n’est que de la merde », confiait-il sans ambages au magazine Playboy. Ses premiers pas en littérature sont l’occasion de découvrir une nouvelle facette de son talent singulier. Et laissent aussi espérer qu’il existe encore, dans quelque sombre grenier, des « papiers » jaunis par le temps qui n’attendent que de retrouver la lumière du jour. Ellen Salvi
Zone Littéraire correspondant
La Traversée de l’été Truman Capote Ed. Grasset 220 p / 12 € ISBN: 2246703018
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