Les mouvements anti-pubs cachent souvent la parole des publicitaires eux-mêmes. Enfermés dans leurs joyeux bureaux bordéliques de l'ouest parisien, ils n'ont jamais la parole. On pourrait croire qu'ils s'expriment sur leurs panneaux de métro, mais les affiches collées ça et là ne sont le fruit que d'incroyables pressions d'annonceurs. Le débat public n'existe pas. La pub ? On aime ou on n'aime pas. On supporte ou on ne supporte plus. Séguéla est devenu un référent médiatique alors qu'il n'est plus rien. Les créatifs d'agences (ceux qui conçoivent les campagnes : les "créas") l'ignorent. Papi enchaîne les émissions : minable. Heureusement qu'une horde de "disrupteurs" se cache derrière les buissons bêtes et sombres. Essai publicitaire, Disruption n'est ni réservé aux étudiants en manque de rock'n'coke', ni aux défricheurs de tendances. Il fait le bilan d'une pensée qui fit (et continue de faire) le succès de marques comme Absolut, Nissan ou Play Station. Comme de grands auteurs, cinéastes ou peintres, une poignée d'hommes s'est conduite en "rupture". De là est née une théorie publicitaire : la disruption. En bref, il s'agit d'implanter une marque dans un territoire de communication autre que celui que l'on attend. Surprendre pour séduire. Séduire pour vendre. On pourrait crier à la manipulation, à la fourberie de grands groupes internationaux, à l'abrutissement des consommateurs, mais la marque n'est plus pensée en tant que pouvoir assis, mais en perpétuelle renaissance. Le consommateur s'en tire plutôt bien. Et l'auteur aussi. Président d'un des plus grands réseaux d'agences mondiaux (TBWA), Jean-Marie Dru et ses collaborateurs ont la pertinence de n'être sûrs de rien. Un monde idyllique est né... avec ses limites. Au-delà de l'empathie contaminante de ce formidable succès, il faut y voir une méthodologie implacable acquise par un petit nombre d'individus. L'entreprise est intelligente (elle s'attaque à toutes les conventions), mais créée immanquablement les siennes : le passé n'existe plus, toute nouveauté est vouée à disparaître, la création est forcément destructrice, etc. Les filous se mordent la queue : ils dévoilent les rouages de la capacité d'absorption infinie d'un néo-capitalisme terrible. La Disruption rattrape à la fois nature (on parle de "Disruption dans l'ADN") et culture (de Nelson Mandela jusqu'aux artistes maudits). Sans que nous le sachions, la disruption était née avec le monde. Elle est désormais publicitairement théorisée. Plus nous avançons, plus nous comprenons nos systèmes et plus nous nous soumettons à ceux-là. Monsieur Dru, pourquoi ne pas avoir choisi un autre sujet, comme celui de l'échec ? Sans doute parce que la pub ignore le sens du romantisme.
Ariel Kenig
Disruption Live Jean-Marie Dru Ed. Village Mondial 265 p / 30 € ISBN: 2744060356
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