A la manière de Salinger dans L'Attrape-cœur, Hugo Hamilton, écrivain irlandais de 53 ans, raconte dans Le Marin de Dublin sa jeunesse torturée. Un livre attachant et tendre. Zone : Dans vos deux derniers romans : Sang Impur et Le Marin de Dublin(éd.Phébus), vous racontez votre enfance. Une enfance « à la dure » entre une mère aimante mais marquée par ses souvenirs douloureux de la Seconde Guerre mondiale et votre père irrascible, imprévisible et parfois violent. Pourtant vous portez un regard à la fois tendre et lucide sans exhibitionnisme ni pathos. Comment avez-vous travaillé pour y parvenir ? Hugo Hamilton : Je me suis replongé dans mes souvenirs d’enfance pour la restituer. J’ai relu les journaux que ma mère tenait. J’ai discuté avec mes frères et sœurs pour savoir ce dont eux se souvenaient. Je suis redevenu l’enfant que j’étais, dénué de toute forme de jugement. Car c’est le propre des enfants de ne pas juger, ils ne se demandent pas si telle ou telle chose est bonne ou mauvaise, ils la prennent telle qu’elle est. J’ai commencé le livre en écrivant avec le point de vue d’un adulte, mais je n’ai pu m’approprier l’histoire que lorsque je suis parvenu à recréer mon enfance. Vous avez grandi dans une famille très politisée où les discussions étaient engagées. Cela a du vous permettre de développer une vraie conscience politique. Cependant votre père était particulièrement intransigeant et ne permettait à aucun membre de la famille une quelconque transgression aux idées qu’il vous transmettait. Comment vous êtes-vous construit votre propre identité politique ? Vous avez raison, la politique avait une grande place dans ma famille, bien plus que dans les autres. Mon père avait fait de la guerre qu’il menait contre le gouvernement britannique et du passé de ma mère pendant la Seconde Guerre mondiale un véritable culte dans lequel nous étions nécessairement impliqués. Ma mère était plus ouverte et nous expliquait ce qu’elle avait vécu afin que l’on se souvienne des atrocités qui ont pu être commises. Mais malgré l’intolérance de mon père, cette éducation a été très enrichissante à tout point de vue. Nous avons pu apprendre l’histoire de l’Irlande et celle de l’Allemagne qui sont tout à fait contradictoires. J’ai donc eu très tôt un point de vue très ouvert sur le monde. Et que gardez-vous de cette éducation ? Il ne s’agit pas de ce que j’ai gardé ou de ce que j’ai rejeté. J’ai grandi avec cette éducation. J’ai hérité de la colère de mon père mais j’ai toujours été contre son ressentiment perpétuel envers les Anglais. D’ailleurs, toutes les idées que je ne partageais pas avec lui m’ont permis de prendre du recul et de construire ma propre pensée politique. Tout ce que j’ai rejeté dans mon éducation m’a sûrement fait mûrir plus vite. Votre roman, Le Marin de Dublin, est traversé par votre désir d’oublier et de redevenir innocent. Pouvez-vous développer… J’ai vécu une enfance très difficile parce que mes parents voulaient toujours que je me souvienne de leur histoire. Ils me rappelaient systématiquement leurs souvenirs. A force, cela devenait pesant. Je ressentais le besoin de devenir quelqu’un d’autre et d’alléger ma mémoire. Ma rébellion me permettait ainsi de m’échapper. Parce que vous êtes né d’une mère allemande et d’un père nationaliste irlandais, on vous considérait vous et vos frères comme des étrangers, voire des parias. Comment ne pas devenir cynique, extrêmiste ou fou ? Je l’ai été. J’ai souvent eu des envie de meurtre. Mais la tendresse de ma mère et son énergie positive ont compensé mon caractère violent. Vous qui avez si longtemps été en colère contre une époque et une société irlandaise génératrice de terreurs, quel regard portez-vous, aujourd’hui, à 53 ans sur le monde ? Mon problème a toujours été que ce sont les autres qui ont écrit mon histoire : mon père, ma mère et l’Histoire elle-même. Je me suis libéré quand j’ai enfin raconté ma propre histoire. Le Marin de Dublin d'Hugo Hamilton Ed Phébus
Doreen Bodin
Hugo Hamilton Ed. 0 p / 0 € ISBN:
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