Deux romans, une légende: Bathory – die Blutgräfin – la comtesse hongroise aux 600 meurtres. Jeunesse infinie et futurs imparfaits entre les lignes d'Isabelle Zribi et d'Elise Fontenaille. A la première de ces dames, pour Bienvenue à Bathory, cyber et cinglant.
Neuf romans d'anticipation sociale sur dix doivent beaucoup au couple Jeremy Bentham et William Gibson. La dette au premier est contractée dès que les thèmes de la surveillance et de l'« omniscience invisible » sont abordés. Jeremy Bentham est le peu illustre inventeur du panoptique, une prison conçue de telle façon qu'un individu peut surveiller tout le monde à tout moment. Michel Foucault en a tiré les conséquences sociales dans son plus fameux Surveiller et punir et Orwell les conséquences littéraires dans son très célèbre 1984. Quant à Gibson, on lui doit tout simplement l'invention du virtuel, du cyberpunk et de tout ce que l'informatique et les réseaux possèdent de mystique et d'esthétique. Alors évidemment, BIenvenue à Bathory y fait un peu penser, en explorant la transhumanité à travers la légende de cette princesse hongroise, meurtrière devant l'éternel, et que l'Eternel a finalement rattrapé. Le monde proposé par Isabelle Zribi, transposé dans un futur proche dans une « principauté aux confins de l'Europe de l'Est », est transparent jusqu'au vertige: tout s'affiche et se clame, la beauté s'exhibe et la laideur s'exile. Les sexes se confondent aux sens propres et figurés...
Prison de verre L'enfer ultralibertaire, où tant on a interdit d'interdire, le progrès devient obligatoire. Un échange standard de diktats, en somme, malgré les apparences festives et consuméristes. La littérature d'Isabelle Zribi n'est pas tant intéressante dans le fond, même si la réinterprétation est originale, que dans la forme, où elle excelle à inventer les mots et les us de ce futur extérieur. EauDeMontagne, EspaceIcI, bb... Une novlangue, sorte d'esperanto marketing qui résume bien la publicité qui sert de lien social à Bathory, enclave gérée par la fameuse comtesse, résurgence de son ancêtre sanguinaire. Isabelle Zribi puise loin et large dans l'inconscient collectif, entre psychédélisme à la Manson, masochisme... à la Masoch et mysticisme à la Georges Bataille. Bienvenue à Bathory est tripartite, et le dossier de presse nous apprend qu'Isabelle Zribi s'est précisément inspiré d'un triptyque de Jerome Bosch, grand halluciné médiéval, pour sa composition: Le jardin des délices. Pas évident à la lecture, mais tableau et livre partage au moins ce goût très sûr de l'explosion de la réalité, quand tout se décadre et se désynchronise. On dirait du Godard et, ce n'est donc pas un hasard, l'auteure tient le petit Suisse pour le « plus grand écrivain contemporain vivant ». Difficile de lui donner tort.
Laurent Simon
Bienvenue à Bathory Isabelle Zribi Ed. Verticales 176 p / 15 € ISBN: 2070782670
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