Don DeLillo s’est taillé une blouse de choix au laboratoire des Twin-Autor où il a rejoint les McInerney et Safran Foer. Il fait désormais parti du club des auteurs américains qui auront réussi à bâtir une œuvre littéraire de fiction sur le sol poussiéreux de Ground Zero. Qu’il parte du passé où qu’il se projette dans l’avenir, il est bien là l’art de cet auteur de 72 ans à qui on ne l’a fait plus : raconter le présent. 1977, Joueurs, le cinquième roman de DeLillo, met en scène un attentat terroriste au WTC. Trente ans plus tard, on découvre sur la couverture de l’édition américaine de l’Outremonde, une église devant les Twins et un oiseau volant étrangement autour des tours. La religion, un symbole hégémonique et le vol au dessus d’un nid de travailleurs. Art de la prédiction ? Don DeLillo préfère plutôt l’intuition, avec l’obsédante question du temps en arrière pensée. Car s’il semble qu’il y ait une période de chasteté littéraire observé par les auteurs. Combien de temps faut-il à l’art pour s’emparer et nourrir le présent de l’histoire ? DeLillo a choisi ce chassé-croisé fiction/réalité comme pierre angulaire à l’édifice de son roman. A l’origine, un étrange croisement : d’un côté une célèbre photo du 11 septembre où on y voit un employé de bureau qui « choisit » de se jetter du World Trade Center et de l’autre, un performeur à Chicago en 2005, suspendu par les pieds du haut du dernier étage de l’Institut d’Art Moderne. Voilà pour la réalité. Dans la fiction, l’homme qui tombe est d’abord un performeur qui se suspend, toujours par les pieds mais à Manhattan cette fois et au lendemain du 11 septembre. Le temps retrouvé, le récit peut commencer Memento Rescapé de l’effondrement, Keith, jeune cadre de Manhattan, retourne machinalement dans l’appartement de son ex femme, un trajet depuis Ground Zero jusqu’au décombre de sa vie de couple. Il y retrouve sa femme Lianne, engagée dans une associations d’aides aux victimes d’Alzheimer, car elle ne s’est jamais véritablement remise du suicide de son père atteint de la maladie de l’oubli. A leur fenêtre et parce qu’il ne les pas vu choir, leur fils de sept ans, aidé de ces amis « faux jumeaux », guette le ciel avec de vraies jumelles, en attendant que des avions viennent les détruire « réellement ». Tous ces personnages deviennent bientôt structurellement modifiés par cette date. Et cette méga chute physique devient une chute métaphysique, avec en substantifique moelle, la lutte contre l’oubli. Et le cercle de cette famille new-yorkaise n’a de cesse de se réduire autour de la mémoire : une mallette trouvé dans les décombres que Keith tente de rendre à son propriétaire, Ben Laden devenu Bill Lawton dans la bouche des enfants et finalement le temps qui passe est semblable à la chute de cette homme où chaque seconde absorbée, le conduit à oublier ce qui le précède. Mais l’homme qui tombe le plus est sans doute Keith. Sans plus aucun repère depuis le 11 septembre, il s’enfonce toujours plus dans le poker car « les cartes tombaient au hasard, sans cause assignable, mais il demeurait l’agent du lire choix ». Une chute qui permettra au lecteur de s’élever un peu et aux hommes de ne pas s’oublier. Charles Patin O'Coohoon
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L'homme qui tombe Don DeLillo Ed. Actes Sud 298 p / 22 € ISBN: 9782742774
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