Il y a des écrits qui ne se résument pas… Mais qui se lisent, se parcourent, et qui se réfléchissent comme un voyage dont on essaierait de distinguer les limites. Il y a des récits qui naissent comme des romans, et puis qui prennent une toute autre forme, en dehors des genres établis. Il y a des auteurs différents, aussi ; des écrivains dont l’intention de base est de se rattacher au réel, de créer du sens, de faire corps… En somme, Cargo mélancolie est une œuvre comme on en trouve peu. Quant à Alexandre Bergamini, il est un peu l’auteur que l’on découvre un jour et que l’on n’oublie jamais tout à fait : car la première lecture a créé comme une adhérence, une empreinte. Avec son premier roman, Retourner l’infâme, on avait fait intrusion dans un univers violent et presque sale, mais où le sens du sordide aidait à découvrir la beauté, cachée sous un voile de poésie. Dans cette œuvre première, les courts chapitres pouvaient tout aussi bien être pris pour des strophes… On avait aimé cette dualité, cette double recherche qui inclinait à la réflexion et à l’introspection. L’œuvre nous parlait, intimement… et on avait laissé le poète s’adresser à notre part d’ombre. C’est de cette ambiguïté savamment maîtrisée qu’il est de nouveau question : tel un carnet de voyage aux nuances grises, le Cargo mélancolie de Bergamini trimballe un narrateur sensible et comme désorienté, malgré des voies toutes tracées. La Pologne, la Lituanie, l’Egypte, l’Arabie saoudite… Le premier voyage se fait en solitaire, comme une quête aux contours flous. Le narrateur a perdu son frère, qui s’est suicidé, et la tendance « destination ailleurs » du jeune homme a des relents de fuites assumées : plutôt que de stagner et de sombrer, finalement, on cherche à détaler pour ne pas pourrir dans la froide réalité. Les sens en éveil, les images pleuvent ; les prises de sons s’accompagnent de frissons, et le bateau avance, tarissant la douleur, la rendant moins obsédante. L'errance et les souvenirs Dans ce dédale de visites et de rencontres, le temps s’étire jusqu’à donner le tournis : les lieux eux-mêmes perdent de leur précision, et le narrateur semble partout à la fois… Petit miracle des mots et des tournures, le récit n’est jamais linéaire ; on sent la manipulation du langage au service de l’histoire, plus qu’une simple envie de magnifier. Lorsque le second voyage commence, on se trouve déjà dans la seconde partie du livre : et c’est cette fois en compagnie d’une photographe que le narrateur poursuit sa quête… Avec, toujours, ces incursions de petites strophes au sein même du récit. La Norvège apparaît, ses fjords, ses reliefs. Morceaux de vie, tableaux de rencontres… Les esquisses s’enchaînent, accompagnées de cette sensation de renaissance. « Clarté de ce que je suis, pense le narrateur. Je ne m’en remettrai jamais. » Mais la froide lucidité norvégienne laisse place, peu à peu, au sentiment diffus d’avoir effectué une transition… Et finalement, de la mélancolie à l’acceptation de la mort dans la vie, on accède à une forme de renouveau. Car l’errance a toujours une fin. Même si ça fait mal...
Julien Canaux
Cargo mélancolie Alexandre Bergamini Ed. Zulma 95 p / 9 € ISBN: 2843044427
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