30 Jan 2007 |
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Pendant les vacances, alternant les promenades au grand air et la lecture de romans populaires que ses grands-parents corrigeaient, le jeune Peter a ainsi fait son apprentissage de la vie et de l’histoire par des récits relativement vraisemblables de soldats au front, sur les champs de bataille ou sur la route du retour. Des récits répétitifs qui auraient pu le lasser, mais qui, bien au contraire, le fascinaient, tant par la dimension épique des aventures qui y étaient narrées que par une certaine grandeur qu’il trouvait à tous ces héros masculins. Lui faisant l’effet d’une véritable drogue, ils ont créé chez lui un étrange rapport de dépendance. Il n’est pas rare en effet, pour un enfant, de s’identifier à un héros au point de tâcher de transposer ou d’adapter certains de ses faits et gestes à sa propre vie. Il est plus rare en revanche que cette obstination perdure autant à l’âge adulte. Un jour, il lit l’histoire d’un soldat qui, de retour chez lui, trouve sa femme mariée à un autre. La fin manque, laissant le mystère planer sur la réaction de cet homme. Au lieu de s’en accommoder, la résolution de cette histoire l’obsède au point qu’il ressent comme une nécessité vitale d’en connaître la fin. Simple lubie ou pressentiment d’une découverte plus personnelle et inattendue ? Quelle identification, quelle proximité Peter a-t-il trouvé dans ces textes de qualité littéraire pourtant sans prétention? Surdité mondaine
Obsédé par le destin de ce soldat dont la place au foyer s’est trouvée usurpée, il mène une véritable enquête privée visant à reconstituer son parcours, voulant connaître le fin mot de son histoire. Comme si elle était le sésame qui lui permettrait de prendre sa propre vie en main. Un acharnement surprenant par le sérieux du dévouement avec lequel il se lance dans ce jeu de pistes, instaurant par là même une identité troublante entre un écrit a priori purement fictif et la réalité de l’Histoire. Comme mû par un instinct supérieur, il quitte compagne et enfant pour calquer son destin sur celui du soldat inconnu et découvrir des indices qui bouleverseront sa vie. Au-delà de la narration romanesque pure, il est question d’identité, de filiation, de mensonge, d’usurpation et même de constructivisme, théorie selon laquelle la réalité en tant que telle n’existerait pas et ne serait que le reflet de l’interprétation qu’en font les individus à partir de leurs lectures des romans et des événements… Une mise en abyme étourdissante dans laquelle l’on tend à s’embourber lorsque Bernhard Schlink l’entrecroise d’une théorie juridique… Si le périple souffre de quelques longueurs lorsqu’il s’aventure outre-Atlantique, c’est presque un manifeste,au final, que l’on a le sentiment de tenir entre ses mains ; en faveur du pourvoir de la littérature et d’une responsabilisation des auteurs. Surtout, dans cette histoire où les liens et goûts littéraires semblent supérieurs à ceux du sang, c’est une vision de la littérature comme symptôme et remède à une carence, une inaptitude aux relations humaines et à la construction de sa vie. Là où Le liseur comblait un déficit intellectuel et culturel chez celle qu’il cultivait, le héros du Retour s’efforce de compléter sa filiation et l’édifice de son existence.
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