Les souvenirs de jeunesse peuvent hanter une vie entière, quand les fantômes s’accrochent. Avec L’Apéritif des faibles, David Descamps nous livre un premier roman chargé de mémoire. On y verrait presque des lueurs de Proust, par moment… Proust pour le goût des phrases qui ont de l’envergure ; Proust, aussi, pour l’usage prononcé des virgules et l’évocation perpétuelle de souvenirs. Dans L’Apéritif des faibles, on trouve une volonté intense d’affirmer le passé, comme une entité omniprésente… Un jeune homme perd un ami : c’est le moment pour lui – comme pour David Descamps – de créer un véritable voyage initiatique, aux accents introspectifs, pour faire revivre un ami suicidé autant que des souvenirs de jeunesse. Notre narrateur, qui restera anonyme, part donc de Marseille à la région des Flandres dans un périple incertain, aux promesses obscures… Carnets de mémoire Dino s’est donné la mort, "en face d’une abbaye" : c’est une chose à digérer. Mais plus intenses encore sont à revivre les événements de leurs tendres années, quand les jeunes filles étaient en fleurs et que les risques les plus savoureux étaient à prendre. Heureusement, se souvenir des jolies choses c’est souvent se remémorer les premières fois : les émois qui laissent pantois, les frissons qui font vibrer… Descamps n’est d’ailleurs pas en reste, question désir ! Il y va même de façon frontale, dans l’exploration des histoires passées de son narrateur. Amours fugaces, corps affriolants et filles délicieuses… La jeunesse est constamment dépeinte pour marquer la scission entre l’avant et l’après. Les émotions sont restées intactes, inscrites dans la peau ; et pour notre protagoniste, la perte de l’être cher permet finalement de récupérer une partie de son identité… Le narrateur cherche donc son ami Dino, comme on chercherait son Albertine disparue : dans les limbes nuageuses d’une mémoire gruyère. Mais dans le dédale des anecdotes et des événements qui rejaillissent, le Marseillais d’adoption ne perd pas le Nord : et comme dans un devoir de mémoire, il entreprend de se plonger dans les carnets intimes que Dino a laissé derrière lui. Des journaux intimes bourrés de ce temps perdu, et de pans de vie presque oubliés… Attablé au café qui avait fait leurs joies étudiantes, mais avec un bon nombre d’années de plus, le narrateur parcoure les réflexions du suicidé. Le travail de la mémoire peut-il ressusciter les morts ? Vit-on plus en harmonie avec les défunts, lorsqu’on a accepté de faire la paix avec son propre vécu ? L’histoire d’une vie, c’est autant de choix conscients que de virages subis… Dans L’Apéritif des faibles, après tout, il n’est question que de ça : d’une recherche, d’une démarche, d’un mouvement. Vers le temps retrouvé ?
Julien Canaux
L'Apéritif des faibles David Descamps Ed. Les Allusifs 106 p / 13 € ISBN: 2922868692
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