Jordi Punti nous avait enchanté en 2007 avec Animals Tristos, un chassé-croisé amoureux des plus savoureux. Peau de Tatou confirme qu’il est une des voix catalanes qui comptent aujourd’hui. Force est de constater que la littérature hispano-portugaise est une des plus riches du moment. A l’heure où on a parfois du mal à trouver son bonheur dans un panorama français un peu terne – mais où heureusement on aperçoit de temps en temps des lumières ! – on est heureux de découvrir un Andrès Barba (Et maintenant dansez chez Christian Bourgois), on se délecte en pensant au nouveau Saramago paru au Seuil, on se fait plaisir en relisant un Renaldo Arenas ou un Perez-Reverte. Jordi Punti, en dépit de son prénom malheureux pour notre hexagone, est un auteur qui promet. Journaliste à El Pais, traducteur de nos chers compatriotes en Catalogne (Daniel Pennac, Amélie Nothomb…) mais aussi de Paul Auster, il avait reçu le prix Serra d’Or de la critique pour ce premier recueil que nous livre un an après le second le Serpent à Plumes. Peau de Tatou, du nom de cet animal à la peau si dure qu’elle le protège contre n’importe quel prédateur regroupe dix nouvelles dont la caractéristique pourrait être des personnages saisis en un instant où leurs vies basculent. Shorts cuts Sauf qu’elles ne basculent pas. Il y a ce gamin qui par erreur – une résolution involontaire en un temps record d’un Rubik’s Cube alors qu’il cherchait à reproduire les couleurs du drapeau du club de foot de Barcelone ! – est considéré comme surdoué et se retrouve dans une école spécialisée ; il y a cette femme qui le temps d’un jeu de regards pendant des embouteillages sur l’autoroute se surprend à revivre son passé insouciant avec nostalgie ; il y a cet homme qui croise dans un train un futur meurtrier lui demandant son avis sur l’acte qu’il s’apprête à commettre. Au cœur du recueil, une trilogie jouissive nommée « Tryptique des biographies » nous entraîne sur les pas vacillants et contraires de deux écrivains, un vieux, célèbre, respecté, primé, qui ne vend plus, un jeune adulé devant qui s’ouvre la voie du succès. Quelques pirouettes littéraires plus tard, on se dit que la littérature a encore de beaux jours devant elle, même si elle malmène ceux qui s'y consacrent. Le pas du chat noir Pour ceux qui ont eu la chance de l’entendre, ce titre d’un album jazzy signé Anouar Brahem est un pur moment de bonheur musical, qui conviendrait parfaitement à la lecture du livre de Punti. Tous deux partagent cette mélancolique vision du monde, à la causticité sous-jacente et douloureuse, montrant par touches subtiles cette lente déliquescence de notre statut d’être humain face à sa nature fragile. La vie de Perrier et Evian – ça ne s’invente pas – celle de Marine ou de Pete Lundegaard auraient pu être différentes, habitées d’horizons plus vastes, d’envies plus grandes, de désirs plus intenses. Elles ne seront que celles contenues dans ces dix récits, brèves, simples, mais saisissantes.
Maïa Gabily
Peau de Tatou Jordi Punti Ed. Le serpent à plumes 222 p / 17 € ISBN:
Articles les plus récents :
Articles les plus anciens :
|