Swap ! Une onomatopée de l’instant. Anthony Moore, psychanalyse de son état nous livre un premier roman original partant d’une erreur grotesque. A 12 ans, Harvey tenait son avenir entre ses mains et l’a échangé contre un bout de plastique. Jusqu’où ira-t-il pour reprendre possession de ce qu’il considère être sa vie volée? En bon psy, Anthony Moore traque l’obsession. Son anti-héros, Harvey, est obsédé par son échec. Enfant, il a échangé par compassion une simple BD. Adulte, ironie du sort, il devient libraire spécialiste en bandes dessinées, et ne cesse de ressasser cet événement crucial dans sa vie : le jour où il a confié à Bleeder Odd son exemplaire du Superman N° 1, un ouvrage inestimable qui lui permettrait enfin de réaliser ses rêves et de sortir de la médiocrité. Harvey est la caricature du trentenaire bedonnant, ne réussissant pas à s’extirper de son adolescence, âge d’or durant lequel il était le héros de l’école. Ses seuls amis sont des pintes de bière et Josh, un assistant névrosé, susceptible et incompétent au possible, sorte de boulet dont il est impossible de se débarrasser. Ses seules autres relations avec des êtres humains passent par le coup de fil hebdomadaire et obligatoire à ses parents. Le point de rupture du récit se situe lorsque Harvey se rend à une réunion d’anciens élèves, là il rencontre à la fois son passé en la personne de Bleeder, ancien souffre-douleur, mais aussi l’amour à travers la femme d’un ancien camarade de classe, Maisie. Mais c’est oublier la malchance inhérente à ce genre de personnages. Quand il décide de cambrioler la maison de la mère de Bleeder à la recherche de la bande dessinée tant convoitée, il se trouve face au corps de la vieille femme, baignant dans son sang. Dès lors, tout s’enchaîne très vite, et le psy Anthony Moore nous entraîne dans les méandres brumeux de la pensée de Harvey, incapable de prendre une décision, réfléchissant à l’envers en permanence. Personnage central d’un imbroglio insolvable, Harvey n’est plus que la marionnette de ses pulsions, ne croyant déjouer le destin que pour s’y enfoncer d’avantage. Quand l’on est plus bouffon vert que Spiderman… Anthony Moore présente ici un polar psychanalytique teinté d’humour noir où tout le monde se cherche. Chacun de ses personnages est seul, croyant trouver une vérité ou un allié, mais toujours réduit à se recentrer vers lui-même, ce dont il est incapable, chaque vérité prévalant sur celle de l’autre. Il insiste sur l’opposition entre réel et imaginaire sans pour autant critiquer ce dernier, avec toujours un regard plutôt bienveillant pour son anti-héros qui analyse sa vie en fonction des forces du bien et des forces du mal. Harvey évolue au cours du roman, prenant conscience de sa vacuité et de ses égarements. Il prend conscience de l’insalubrité de son appartement ou des relations désastreuses avec ses parents mais il est déjà trop tard, il a du sang sur les mains, et, traqué, il lui faut maintenant prouver son innocence. Littérature et bande dessinée Bande dessinée et littérature sont intrinsèquement liées. On se souvient des extraordinaires aventures de Kavalier&Clay;, de Michael Chabon, prix Pulitzer 2001, de la collection Ecritures chez casterman ou de Tardi illustrant Céline. Anthony Moore participe de ce mouvement de propagation de la culture bédé, réussissant à construire toute son intrigue sur cet objet anodin, qui n’est rien d’autre, aux yeux du néophyte, qu’un livre d’images. Ainsi, il réussit un télescopage d’autant plus réussi qu’il y intègre également des données propres au polar. Swap est un livre réunissant avec brio des éléments épars d’une culture formant un tout, à découvrir. Maixent Puglisi
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Swap Anthony Moore Ed. Liana Levi 0 p / 0 € ISBN:
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