Le théorème d’Almodovar ou comment prouver que des accidents de la vie, peut toujours naître l’ordre de la beauté Pour un premier roman, Antoni Casas Ros frappe fort. En effet, s’il ne parle de fait que de lui-même, sa vie est d’abord profondément romanesque, matière à fantasme littéraire que n’aurait pas dénigrée en leur temps un Gogol ou un Nabokov. Défiguré à la suite d’un accident de voiture à 20 ans, il vit depuis 15 ans dans une profonde réclusion, entouré de livres, ne sortant qu’à la nuit tombée, visité de temps à autre par une mère aimante et aimée. Il s’est à ce point fait à sa vie en marge que sa monstruosité faciale lui est presque devenue une alliée, le rendant hésitant à tenter une chirurgie faciale qui pourrait lui redonner forme humaine. N’est-ce pas là sa singularité, cette aspérité physique devenue morale et qui lui donne l’avantage de la différence ? Une double rencontre vient faire vaciller soudain ses certitudes : celle avec Almodovar, qui décide de faire un film sur cette existence étrange et unique, celle avec Lisa, un travesti à l'aise avec lui-même, qui lui apprend l’amour sans visage, tout dévoué à son intériorité sans considérer l’écorce abîmée qui la recouvre. Vanilla Sky Que ceux qui n’ont pas vu le magnifique Ouvre les yeux d’Alejandro Amenabar (ou son remake de moindre intérêt Vanilla Sky ) rattrapent cette lacune cinématographique. C’est une porte d’entrée possible pour pénétrer dans l’univers du jeune romancier, le film ayant pour héros un homme défiguré accidentellement et évoquant tout ce qui découle d’un tel drame. Chez Casas Ros, des rennes évoluent dans les villes italiennes sans qu’on s’en étonne, des travestis prostitués se révèlent des cœurs d’or malgré leur désordre identitaire, des réalisateurs célèbres s’emparent de votre vie en toute impunité. Mais qui d’autre qu’Almodovar pour réunir des existences aussi singulières, pour passer avec autant de naturel du drame profond à l’évocation burlesque ? L’histoire du monde est constituée d’aventures tragi-comiques, et à plus fortes raisons, celle de l’individu. Et notre narrateur justement se balade immobile dans ses souvenirs d'avant, dans le questionnement de ses désirs d'aujourd'hui, et se surprend à toucher de nouveau d'un doigt tremblant la possibilité du bonheur... Ce premier roman est là pour nous rappeler, ainsi que l’écrit l’auteur que "Au fond du vide, il existe une autre fête" et c’est à cette fête qu’il nous convie, nous prouvant que l’on peut se sortir même du pire, même de l’insurmontable. Le théorème d’Almodovar démontré, on se demande cependant quelle direction prendra désormais l’œuvre du jeune auteur, si près de sa propre vie. Il aura cependant eu le mérite d’imposer une voix singulière, selon une exigence formelle particulièrement aboutie. Espérons qu'il transformera l'essai.
Maïa Gabily
le théorème d'Almodovar Antoni Casas Ros Ed. Gallimard 145 p / 13 € ISBN: 2070119300
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