Voilà le talent. La simple évocation de cellules de peau affleurant à la surface d’une eau savonneuse suffit à nous en convaincre dès l’entrée. Nous sommes bien chez Jean Echenoz. La quatrième de couverture nous avait renseigné qu’il s’agissait là d’un roman retraçant la dernière décennie vécue par le compositeur français Ravel. Dont acte. Mais cela ne pouvait être l’ordinaire biographie d’un pianiste connu pour avoir été insomniaque entêté et très préoccupé de soigner sa mise. Le blase nous fait penser à un Jouve ou, tiens! à un Chopin, entre autres personnages composant l’onomastique de l’auteur, plutôt qu’à un tube classique inspiré d’une danse espagnole. Nous ne serions pas étonné que, d’ici quelques pages, ce héros-ci virevoltât autour de la planète à bord d’une frêle capsule comme d’autres s’en étaient allé vers le Grand Nord ou avaient fomenté la sédition dans une plantation de caoutchouc océanienne. Mais pour une fois, le voyage se fera dans le temps. Les années vingt et trente, voilà des régions qui restaient inexplorées. Nous roulerons donc en Peugeot 201 grise ou, mieux encore, en « Stutz Bearcat carrossée grenat-lavande et non moins décapotable ». Ravel quitte un matin sa baignoire, à Montfort-L’Amaury et à l’hiver 1927, pour traverser le grand bain, jusqu’à l’embouchure de l’Hudson River, à bord du luxueux navire amiral, baptisé Le France. Le contrapontiste entendra, entre rêveries sur le pont, lecture d’un manuscrit de l’ami Conrad et visionnage d’un des derniers films muets, une de ses sonates interprétées par des employés de la compagnie avant de se trouver mieux servi par soi-même. À New York, Boston, Toronto ou la Nouvelle-Orléans, il donnera, non sans quelques couacs, des concerts sold-out et imposera ses caprices dans toute l’Amérique du nord. Quatre mois plus tard et après avoir visité le golfe du Mexique, bravé la prohibition, croisé Charlie Chaplin, éconduit Gershwin, il faudra rentrer dans les Yvelines et de nouveau lutter contre l’ennui. Pour ce faire, marcher dans la forêt de Rambouillet, continuer de prévoir chaque jour une nouvelle et impeccable tenue, composer à l’occasion des chefs-d’oeuvre, jouer toujours et endurer encore de s’entendre joué, plus ou moins haut la main unique, par Paul Wittgenstein. Et même encaisser de s’entendre dire son fait par Toscanini : « Vous ne connaissez rien à votre musique ». La vie suivra son cours decrescendo. Un jour, et de but en blanc, quelque chose ne collera plus. La première fois qu’on lit le mot « Boléro », dans le dernier tiers du texte, c’est au sujet des vestes sans manches d’Ida Rubinstein ! S’il suit un tant soit peu la partition qu’impose le sujet, le lauréat du prix Goncourt 1999 se joue des contraintes et toutes les fondamentales échenoziennes sont bien présentes : Les motifs et les thèmes, les tournures qui font marquer un silence – « Puis il fut encore tôt… –, le ton distancié, l’esprit de détail et de minutie. Tout est là du baroque que l’on aime chez l’écrivain. Olivier Ngog
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Ravel Jean Echenoz Ed. Minuit 124 p / 12 € ISBN: 2707319309
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