En bon poète qui se respecte, Philippe Hadengue a truffé son texte de petites trouvailles linguistiques et de véritables ingéniosités littéraires. Un roman tout en finesse... Allégorique à souhait, bourré d’assonances, d'allitérations et de néologismes, irréel et romantique… Lames possède l’aura des plus grands romans classiques – de ceux qu’on étudie ensuite à l’école, pendant des siècles, et qu’on relit avec plaisir de génération en génération. La double sonorité du titre, le soin dans l’esthétique, l’intelligence du propos et l’effort considérable qu’a dû représenter le processus de rédaction… L’ouvrage tout entier semble le résultat d’un véritable travail d’orfèvre, à une époque où les romans rédigés d’une traite semblent, parfois, partir un peu trop vite chez l’imprimeur. Philippe Hadengue, qui avait reçu le Prix du Livre Inter en 1989 pour son roman Petite chronique des gens de la nuit dans un port de l’Atlantique Nord, maîtrise parfaitement la poésie et les jeux de langues : souvent, on relit certaines phrases par deux fois, pour mieux se laisser imprégner des petites particules du style d’écriture, que l’on aurait pu laisser de côté. D’une trame pour le moins ordinaire – la liaison naissante entre un homme et une femme –, l’écrivain-poète semble extraire un nectar, et imposer des évidences, dans un itinéraire délicat et poétique, jamais opaque. Passé maître dans l’art du conte, Hadengue tisse une toile immatérielle et logique, pleine de sensations et d’imprévus… Quand Mathieu rencontre « la jeune femme », aux abords d’un casino, il ne sait pas qu’un entretien sensible et douloureux est sur le point de s’installer. Et dans cette séduction du face à face, le roman finit par se construire sur le mode de la confession, du duo, du dialogue. La jeune femme est une oreille douce et réceptive, et Mathieu livre très vite l’histoire intime de sa famille… Bientôt, une atmosphère de liberté commence à se répandre ; les mots se lâchent, les langues se lient et se délient très facilement. Quant aux lames que s’échangent continuellement les amoureux… ce ne sont bien sûr que des regards. Intenses, profonds, chargés de mystères. Lames et or C’est en fait dans un double niveau de lecture que se situe le principal talent de ces Lames acérées : on peut y voir, en effet, une superposition entre les mots des protagonistes, personnages immatériels par excellence, et ceux du poète, qui joue lui-même sur le langage. Fier et libre, Hadengue fait fi des conventions grammaticales et s’en va imposer des points d’exclamation et d’interrogation là où on ne les attend pas. Espiègle mais jamais prétentieux, notre poète accole des adjectifs à la chaîne, sans jamais alourdir ses phrases et, par là même, ses intentions. Dans cet univers du jeu, un rapprochement s’impose alors : le choix du casino, en tant que lieu de rencontre de nos deux âmes, est-il fortuit ? En se délectant des sonorités, des jeux de miroir, des rapprochements linguistiques et des mots rares – on se surprend, soit dit en passant, à relever une bonne vingtaine de mots complètement inconnus -, on lit tout le perfectionnisme d’un littérateur qui nage parmi les mots et qui fait sienne la langue qu’il emploie. A travers une histoire qui peut se montrer bien sombre, par moments, Hadengue sait toujours comment débusquer le terme juste, le verbe adéquat, la pépite d’or dans la constellation poétique. En définitive, on est ravi d’assister à un tel spectacle de talent, et on l’aura compris : les œuvres de poésie ne se résument pas. Elles se consument après lecture, et il n’en reste que des effluves.
Julien Canaux
Lames Philippe S. Hadengue Ed. Maren Sell 283 p / 18 € ISBN: 2350040275
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