Un étudiant décide de s’installer quelques mois en Haïti pour y retrouver trace de la grand-mère d’Alexandre Dumas. Fabrice Jaloux prépare un mémoire autour de l’auteur de La Reine Margot. Il fait auparavant un voyage à Rome. Les gradins du Colisée et les musées de peintures donnent tout de suite lieu à d’érudites digressions. À son retour, le jeune étudiant découvre, de manière presque fortuite, le passé franquiste de son père. Un détour par l’Espagne, c’est encore autre chose mais c’est, en conséquence, aussi inscrit au programme. Ayant croisé Jaloux dans la cité antique, une bande de volontaires hétérogènes l’entraînera dans une mission présumée humanitaire en Haïti. Le narrateur les suivra, flanqués de leur louche avocat, n’en déplaise à sa fiancée Karine, elle-même pourtant courtisée par ailleurs. Fabrice Jaloux rencontrera le tiers-monde, l’attachement à Dumas bien présent dans les coeurs et Narcisse, sorte de Vendredi, peintre à ses heures, qui sera son guide sur l’île exsangue, parcourue de bandes armées et soulardes. Plutôt que des autochtones, Fabrice Jaloux fera mieux la connaissance des bénévoles, l’italien Marco ou la belge Florence. Mais surtout le russe Boris avec qui il échangera longs regards et considérations sur la Bohème, Prague, la dictature soviétique, et autres sujets un peu décalés sous les cacaotiers – une pensée tout de même pour Pouchkine, autre Alexandre, autre mulâtre. Fabrice et Boris finiront à deux doigts de partager la même moustiquaire. Dictionnaire des prénoms On compte quatre Alexandre entre l’arrière grand-père, qui émigre vers la chaude et encore appelée St-Domingue pour y faire fortune dans une plantation nommée… Monte-Cristo, et l’académicien, fils de l’écrivain récemment admis au froid panthéon. Dominique Fernandez nous soutient que l’aïeul traitait ses esclaves avec bonté, belle manière d’oxymore. Après lui avoir fait quatre enfants, Alexandre-Antoine Davy de la Pailleterie revend la génitrice, Cézette Dumas, et ses petits mais s’en garde un à gauche qu’il fera rapatrier en France. Le sang-mêlé insistera plus tard pour porter le nom de sa mère et le portera haut, au point d’insupporter Napoléon à qui déplaira ce militaire réfractaire aux ordres et « de la couleur de son tabac ». Le général Thomas-Alexandre Dumas, père de l’employeur d’Auguste Maquet, est né à Jérémie, nom biblique s’il en est (et joli nom parmi d’autres, sur cette île où l’on voit le jour à Abricot, Savane-Zombi, Chantal ou Saut-d’eau. Et qui donc n’aimerait pas avoir son adresse à Trou-Bonbon ?). Le prolifique chantre de la cape et de l’épée s’escrimera quant à lui à assumer ses origines. Tintin au Congo Qu'on adhère ou non aux vues de l’auteur et aux comparaisons rapportées à la France bariolée d’aujourd’hui, on peut ressentir un certain malaise quand le docte Jaloux défend son romancier favori en le décrivant animé d’une « énergie primitive ». Un ange passe, mais non sans avoir croisé dans le métro « les peuples anciennement colonisés » – la fiancée Karine elle-même est effrayée d’avoir été « accostée par un Noir », en plein Paris ! Le périple en Haïti ne nous évite pas de tomber dans le panneau et les miséreux y sont évidemment bonne humeur, même « lapant » – merci pour eux ! – l’eau dans des flaques. Les habitants, bien sûr indolents et qui, on suppose, tant qu’on y est, ont le rythme dans la peau, s’expriment dans un pénible petit-nègre : « si toi y tenir… ». Une transcription de l’accent local ne nous est pas épargnée (« c’est ben ag’éable de revoi’ une figu’e »), mais l’auteur apprécie aussi l’accent suisse. Quand est évoquée la prétendue « facilité des femmes noires », la panoplie est complète. Le narrateur, d’ailleurs, est soudain gêné et s’admoneste lui-même : « ne crains-tu pas de donner par cette exaltation de la pauvreté heureuse, dans le mythe du bon sauvage ? ». Trop tard, le mal est fait. Il fallait y réfléchir avant. Aucun haïtien ne devrait se reconnaître dans les portraits sans caractère que brosse ici Dominique Fernandez. Tous ces manquements à la subtilité contrarient le plaisir mais si l’on accepte de passer outre ce catalogue d’inconvenances, on trouve dans ces pages, d’un naturalisme précis et méticuleux, le romanesque enlacé à l’Histoire pour une contredanse où nous est conté avec force le passé révolutionnaire d’Haïti, ses carnavals ruraux ou sa religiosité haute en couleur. Olivier Ngog
Zone Littéraire correspondant
Jérémie ! Jérémie Dominique Fernandez Ed. Grasset 293 p / 19 € ISBN: 2246695217
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