A la fois virtuose et bourré de clichés, ce nouvel opus des aventures d’Elvis Cole use les ficelles du polar jusqu’à la corde. Mais fait quand même son petit effet… On n’a pas trop envie de l’admettre, mais il va bien falloir : c’est vrai, Robert Crais va plaire au plus grand nombre. Particulièrement généreux dans l’échafaudage de son intrigue, l’Américain nous mâche le travail en permanence, si bien qu’on n’a plus qu’à laisser nos yeux courir sur les lignes : pas besoin de réfléchir, la machine le fait pour nous ! Aussi bien huilé qu’un bon gros blockbuster au cinéma, L’Homme sans passé respecte point par point les étapes du thriller de base : prologue mystérieux emprunté au passé du protagoniste, développement tout en surprises et épilogue tout en chaos. En piochant dans sa culture maternelle, Crais fait donc naître le meilleur mais emprunte aussi au pire : un esprit de contradiction qui a tout pour plaire, en définitive. Le jeu du thriller Le pire étant, peut-être, cet attrait continuel pour les stéréotypes hollywoodiens – un choix tartiné d’ironie ? Le détective est mélancolique mais bourré de charme, le passé familial qui y est évoqué est trouble mais somme toute assez banal, le tueur est méthodique… Tous les ingrédients sont là, le fil rouge est évident. Elvis Cole, dont les péripéties ont noirci les pages de sept précédents volumes, va de nouveau être confronté à ses démons : familiaux, ceux-là… Flanqué de son plus fidèle acolyte, le très taciturne Joe Pike, et de la jeune Carol Starkey (qu’on retrouve d’ailleurs comme héroïne d’un autre roman de Crais), celui que tous les journaux de L.A. appellent « le meilleur détective du monde » est projeté dans une affaire où ses propres racines flirtent souvent avec celles du mal. Dans les quelques moments où l’on décroche réellement de l’histoire, on ne peut s’empêcher d’entendre la voix traînante de Cole en off, comme dans les plus vieilles séries policières. Tout comme on ne cesse de peindre cette Cité des Anges en noir et blanc. Cluedo A partir de là, le meilleur peut enfin émerger : telle une caméra insidieuse, la plume de Crais éclaire très vite les situations obscures pour le lecteur, à travers un fin système de focalisations. Ainsi, l’alternance de la première personne – lorsque Cole prend la parole – et de la troisième – quand on suit les pas silencieux du tueur, par exemple – confère très vite à l’intrigue un confort de lecture qui ne s’estompera jamais. Le lecteur se voit donc ballotté par les intempéries, mais se retrouve constamment en focalisation omnisciente : il découvre les indices en même temps qu’Elvis Cole, puis se révèle témoin impuissant des intentions du tueur. Le lecteur endosse alors toute sa dimension d’acteur et le consensus est dévoilé : l’auteur, l’histoire et le lecteur jouent le jeu du thriller. Des chapitres courts, une narration incisive et des mots parfaitement choisis : on l’aura compris, l’auteur n’y va pas avec le dos de la cuillère. Séduit par ce jeu, par cette connivence entre lecteur et auteur au sein même du thriller – car peut-on prendre les choses plus au sérieux ? –, on finit par se dire que Robert Crais maîtrise définitivement les conventions du genre. Et qu’il les partage drôlement bien.
Julien Canaux
L'Homme sans passé Robert Crais Ed. Belfond 390 p / 20 € ISBN: 2714441742
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