21 Avr 2011 |
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On ne parle pas assez d’Andrès Barba en France et c’est un tort. Car c’est un écrivain, un vrai, de ceux qui vous rappellent ce que veut vraiment dire « langage poétique ». Un talent qu’il exerce brillamment dans ses Versions de Teresa.
En 2007, nous étions trop peu à avoir parlé d’Et maintenant dansez, petit chef d’œuvre du jeune auteur espagnol, et qui racontait avec une rare intensité l’implosion d’une famille à mesure que la matriarche, atteinte d’Alzheimer, perdait la mémoire. Versions de Teresa est le quatrième livre traduit (toujours chez Christian Bourgois) de Barba, dans lequel on retrouve sa langue nerveuse dont on avait presque oublié la virulence. « Je » est un autre Étrange roman cette fois que ces Versions de Teresa, reprenant du précédent la même structure narrative – à savoir, un personnage est raconté par les voix de ceux qui l’entourent. Ici c’est Teresa, jeune handicapée de 14 ans, quasi muette, dont Manuel, un trentenaire paumé tombé amoureux d’elle et Veronica, sa sœur aînée, donnent à voir les différents visages, selon ce que chacun y projette. Et tandis qu’ils la redessinent ainsi à l’aune de leurs désirs, sexuel, amoureux, aimant, heurté de jalousie chez Veronica, c’est aussi d’eux dont ils parlent. Manuel est déjà un vieux garçon coincé entre une mère et une sœur fusionnelles, tous emprisonnés dans le souvenir du père disparu. Veronica, elle, cherche sa place dans sa famille, surtout face à sa mère, dans la société aussi, éprouvant une amitié amoureuse pour la jolie Ana. Ils prennent parole tour à tour, reviennent sur cette année particulière où tous les trois se rencontrèrent, où, plus qu’un croisement, leurs vies s’entrechoquèrent. Car chez Barba, rien n’est jamais calme. Chronologie du hasard Bouillonnante, sa langue âpre alterne phrases courtes résonnant comme des coups de fouet ou au contraire démesurément longues à force d’épouser la pensée mouvante des narrateurs, et dont la beauté vous saisit à chaque ligne. « Il imaginait la lenteur de sa mère et la suave indulgence de Carmen, aucune des deux ne parleraient de la nuit du décès (…), Carmen allait suggérer de prononcer une prière, tel était le rituel, et s’ils l’avaient instauré c’était parce que le rituel était la seule façon de survivre à l’évènement (…), car la répétition de gestes compréhensibles est la seule façon d’orner et d’accepter le cadre qui enserre ce que l’on ne comprend pas ». À l’ombre de cette double litanie de deux êtres perdus, la figure de l’énigmatique Teresa rayonne et interpelle : à travers elle, Barba aborde le handicap bien sûr, mais aussi la question qui dérange, la pédophilie. S’agit-il vraiment de ça ? L’auteur prend soin de ne surtout pas définir, donner un avis sur les relations qu’il décrit, qu’il interroge plutôt par la voix de ses personnage, parlant en réalité beaucoup d’amour. Ainsi du bouleversant aveu de Manuel : « J’ai utilisé [Teresa] comme une caisse de résonance, où mes propres sentiments étaient amplifiés, pas les siens. Elle n’était que le vide où résonnaient ces sentiments. Et ça, j’en ai honte. » Original et déroutant, ce livre ne laisse pas de plonger son lecteur dans un certain malaise que d’aucun trouveront insupportable. D’autres encore pourront s’ennuyer. Mais on espère que comme nous, la plupart seront heureux de découvrir un texte dont la polysémie rend tout son sens à la touchante complexité du réel. Versions de Teresa
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