21 Avr 2011 |
|
Hanté par le souvenir de son refus, adolescent, de danser avec une jeune Mexicaine et marqué par la mort d’une fillette victime d’une balle perdue, Brando Skyhorse donne voix à une dizaine de ces immigrés de Los Angeles. Loin d’Hollywood, un anti-portrait dur mais vivant, dénué de tout mélo et empli de poésie.
La Cité des anges n’a pas d’espagnol que le nom. Administrativement américaine, Los Angeles résonne et vit au rythme mexicain. Au point de se demander, dans certains quartiers, de quel côté de la frontière on se trouve. Car dans cette ville où « prolifèrent […] les blondes et les Mexicains », cohabitation est plus souvent synonyme de juxtaposition que de mélange tant il est presque accidentel que les deux communautés se croisent en dehors des relations monnayées par le travail, souvent illégal. Les choses ne semblent pas avoir tant changé depuis Les Raisins de la colère de Steinbeck. Si ce n’est que la récolte des fruits a été remplacée par la construction d’immeubles. Parce qu’on y bâtit dans cette ville. Le premier chapitre des Madones d’Echo Park est à cet égard édifiant: les journaliers, comme ceux des années 30, sont examinés tel du bétail. C’est à qui sera le plus vigoureux, le plus rentable… et tant mieux s’il ne parle pas anglais, le dialogue et les revendications n’en seront que plus limitées. Un changement notoire toutefois. Il est communautaire. Si les riches blancs d’alors exploitaient les pauvres frappés par la dépression de la crise de 1929, ce sont toujours des Blancs qui exploitent, mais les ordres sont donnés à des immigrés mexicains d’autant plus faibles qu’ils sont en situation irrégulière et par conséquent immédiatement expulsables. Ceci étant dit, Les Madones d’Echo Park n’est ni un pamphlet, ni un document militant mais bel et bien d’un roman, profondément ancré dans le XXIe siècle. Trabajadores, cholos et gringos C’est d’autant plus surprenant qu’on entre dans cette lecture comme dans un recueil de nouvelles, chaque chapitre livrant en quelques pages le condensé ou le moment-clef d’une existence. En effet, une des forces de ce livre tient sans doute à sa cohérence, sa limpidité progressive. À la forme de la nouvelle, il emprunte la force, la dimension poignante et la fulgurance glaçante de la résolution de chaque histoire. Mais très vite, les tranches de vies relatées s’assemblent comme les pièces d’un puzzle et donnent corps à un roman à part entière. Chauffeur de bus ou collégienne, femme de ménage ou membre d’un gang, tous ces personnages aux existences bouleversées, Brando Skyhorse les dote d’une voix qui leur est propre, avec leurs tics, leur rythme, et quelques incursions d’un espagnol rappelant que les racines ne sont jamais loin. C’est l’un des paradoxes de ce roman : la mort a beau être omniprésente, Les Madones d’Echo Park est un livre profondément vivant, qui bruisse des sons de la ville, des musiques (essentiellement véhiculées par MTV) écoutées par chacun, des bruits – ou des silences – des intérieurs, et où résonnent voix et conversations multiples. Incidemment, Brando Skyhrorse questionne aussi le sentiment d’appartenance, la façon dont il naît, dont il se manifeste. Une chose est en effet la mixité – ou plutôt son absence - entre gringos et Latinos. Une autre, peut-être encore plus douloureuse, est la cruauté dont peuvent faire preuve certains immigrés plus intégrés, devenus bilingues, qui considèrent comme rétrogrades ceux qui ne le sont pas. « Plus on perd, plus on devient américain. » dit l’un des personnages. L’intégration n’est-elle envisageable qu’au prix d’une soustraction, d’un amoindrissement du capital personnel formé de souvenirs, de coutumes et de références propres ? Est-elle alors souhaitable si elle est le fruit de frustrations susceptibles de déclencher confrontations et affrontements ?... Ces questions affleurent en permanence, que ce soit dans un bus, une cour d’école, une file de supermarché ou dans la rue. Mais si la violence est sans cesse sous-jacente, ce qui sidère qu’elle plombe la lecture mais la façon dont elle semble presque naturellement faire partie du quotidien des habitants de cette ville. Au point qu’ils semblent s’y être résignés. Car même s’il est souvent question de miracle, tout ne peut cesser d’achopper soudainement. Et l’on comprend que l’apaisement ne surgira qu’après s’être résigné au chaos ambiant. Peu importe au final que l’inspiration des Madones d’Echo Park soit une histoire vraie – prétexte qui sert trop souvent de label de qualité à tel ou tel livre ou film. Le fait que Brando Skyhorse ait vécu tout ou partie de ce qu’il raconte est sans doute pour beaucoup dans la justesse du ton. Mais son livre révèle avant tout un véritable écrivain, qui a su s’emparer de la littérature pour témoigner de son temps et donner corps et voix à ceux dont on lit rarement les trajectoires en dehors des colonnes des faits divers. Espérons qu’il poursuivra dans cette voie, avec ou sans souvenir personnel. Les Madones d’Echo Park
Articles les plus récents :
Articles les plus anciens :
|